Quand Instagram se met au service de la campagne

La NBC News, l’ABC World News et le Washington Post ont décidé de surfer sur la vague des nouvelles pratiques journalistiques pour les élections presidentielles américaines. Les trois médias ont équipé leurs reporters d’Iphone 4S dotés de l’application Instagram. Le but : suivre au jour le jour les candidats, les photographier, et partager instantanément leurs clichés sur la toile. Coulisses, débats et réunions, la campagne présidentielle américaine n’a plus de secret pour le Web 2.0. 

washingtonpost From White House reporter@amyegardner1:
“A sea of soldiers at Fort Bliss holding up camera phones to catch the president.”
#2012unfiltered#FtBliss#Obama

A chacun son candidat

Dans chacune des rédactions de la ABC, NBC et du Washington Post, un journaliste est chargé de suivre les candidats à la Maison Blanche au jour le jour dans leur traversée des 52 états. Il n’y a que lorsqu’ils dorment que Mitt Romney et Barack Obama ne sont pas sous l’oeil d’Instagram. Pour le Washington Post, c’est Amy Gardner qui côtoie le Président sortant. Elle poste ses photos via son Webstagram et ne cesse de tweeter en temps réel sur la campagne. Philip Rucker a lui été choisi pour couvrir la campagne du côté républicain. N’hésitant pas à ajouter un trait d’humour à l’américaine, le journaliste du Washington Post détaille en images le circuit emprunté par Mitt Romney et sa femme. Au travers de son webstagram, on découvre une Amérique telle qu’on se l’imagine en regardant la télévision : nationaliste, gourmande et piquante. Du meeting au repas, le journaliste n’oublie pas d’immortaliser également les citoyens étasuniens qui se lésinent pas sur les moyens pour soutenir leur candidat favori.

 philiprucker Your coal country#CampaignFashionReport

Les colistiers ne sont pas en reste. Personnalités incontournables dans la course à la Maison Blanche, les secondes têtes de liste font elles aussi campagne pour soutenir leur candidat. Paul Ryan, disciple de Mitt Romney, est suivi depuis les premiers meetings par Alex Moe, journaliste de la NBC.

Immédiateté vs. travail approfondi

Cette possibilité qu’ont les journalistes, de prendre des scènes sur le vif et de les publier immédiatement, ne fait que renforcer une idée de scoop et l’attrait du lecteur. Aujourd’hui, dans le monde du journalisme tout doit se faire avec une contrainte principale : le temps. Il faut toujours aller plus vite, et des outils technologiques innovants comme Instagram permettent de servir positivement le métier. 

Pourtant, l’application pour smartphone a ses limites, et le duplex de Laurence Haïm, pour le Petit Journal, en direct de Boca Raton (Floride) en est un exemple éloquent. Lors du débat du lundi 22 octobre sur la politique étrangère, les journalistes étaient “parqués” sans possibilité d’approcher les candidats. Christine Ockrent, interrogée par Yann Barthès, définit même son lieu de travail temporaire comme “une grande cage médiatique” d’où les journalistes pourront suivre le débat. 

Capture du site de Pete Souza (petesouza.com) – The Rise of Barack Obama “in his temporary Senate office.”

 En effet seul, Pete Souza, le photographe officiel de Barack Obama, a été autorisé à approcher le président durant les 48 heures précédent le débat. Les autres journalistes, dont ceux qui utilisent Instagram, étaient en “close press”. La raison de cette faveur est que Pete Souza directement payé par la Maison Blanche.

Autre limite : la frontière entre profession et vie privée des journalistes sur Instagram. Noyés au milieu de photographies de Romney ou Obama, on trouve des clichés du dernier “cheeseburger” avalé par le journaliste, ou de son fiston avec sa casquette à l’envers. Bref, aucun rapport avec la campagne présidentielle. L’internaute qui pense tout savoir, en image, sur son candidat favori se retrouve finalement un peu déçu.

Une “story-picturing” à ses balbutiements ?

Le bloggueur français, Jean-Noël Chaintreuil, voit en cette couverture médiatique comme “un point de vue unique et multiple sur ces élections US 2012”. L’histoire de la course à la Maison Blanche racontée en images est selon Chaintreuil, une “story-picturing”. Il ajoute : “je reste persuadé que l’utilisation d’Instagram n’est qu’à ses balbutiements”.

Slate.fr a d’ailleurs titré “Instagram : les photographes de presse ont tout à gagner à s’y mettre”. Ici, Heather Murphy s’oppose aux idées du journaliste Nick Stern, et de son article “Les photos d’Instagram leurrent ceux qui les regardent”. Selon lui, Instagram s’apparenterait à de la tricherie : “avec une application qui ne coûte pas plus de 1,99$, n’importe qui peut devenir photographe . Tout le monde peut créer des images dramatiques et émouvantes avec des filtres, du vignettage et des mises au point automatiques”. Au contraire, pour la journaliste de Slate, Instagram est “une communauté de millions de passionnés de photo, impatients de s’enrichir de leur travail et des standards les plus rigoureux du journalisme”.

La peur des photographes de presse vis-à-vis de la plateforme serait la même que celle de la plupart des gens face à Internet dans les années 1990. Il s’agit finalement d’une peur de la nouveauté mais aussi celle de voir sa réputation s’envoler en utilisant de tels outils.

Texte rédigé par Camille Mathoulin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.