La pige en or d’Abramson et Brill

Steven Brill est journaliste et entrepreneur des médias (il est le fondateur de TruTV ainsi que du magazine American Lawyer et est propriétaire de nombreux autres médias). Jill Abramson est l’ancienne directrice de la rédaction du New York Times dont elle a été renvoyée en mai 2014. Ensemble, ils lancent un nouveau journal en ligne qui verra le jour au milieu de l’année prochaine. Aucun nom n’a encore été annoncé pour cet ovni dans le monde des médias.

Il prend la forme du long-format, du très très long format : un seul article est publié par mois ; pour une histoire plus longue qu’un article traditionnel mais moins long qu’un livre. C’est à dire d’environ 25 000 mots. Si cela ne vous parle pas : l’article le plus long de l’histoire des médias fait 24 105 mots et il a d’ailleurs été rédigé par Steven Brill au sujet de la réforme de santé de Barack Obama.

Une offre de poids

Et le chanceux journaliste qui sera sélectionné pour publier son article sera des plus heureux : Brill et Abramson offrent une rémunération de 100 000 $ par article, soit 40 $ par mot ! Et ce n’est pas tout : si le nombre d’abonnements rapporte plus que 100 000 $, les auteurs reçoivent le bénéfice supplémentaire.

L’annonce a fait l’effet d’une bombe dans le milieu des médias. Une fois l’excitation de l’annonce retombée (non nous ne sommes pas tous capable de pondre un article de 25 000 mots sélectionné par ces deux pontes du journalisme et donc d’empocher 100 000 $) la première question que l’on se pose se porte sur la viabilité du projet à long terme.

Abramson et Brill misent sur des apports financiers privés ; et ils sont d’ores et déjà en négociation avec cinq investisseurs. Mais c’est principalement sur les abonnements qu’ils comptent pour faire vivre leur média. Sachant que l’abonnement à la plupart des médias coûte entre 10 et 20 $ par mois, il faudrait entre 400 et 800 abonnés pour payer un seul article. Si l’on compte les frais de gestions (location des bureaux et salaire du personnel par exemple) il faudrait donc 2 500 à 5 000 abonnés tout au long de l’année pour atteindre l’équilibre financier. Aucune indication n’a été donnée sur le contenu des articles, mais quoi qu’il en soit, combien de lecteurs seront prêt à s’abonner pour ces très longs formats ?

L’information qui prend son temps

La tendance actuelle est plutôt à l’information rapide, très très rapide, sur laquelle on passe peu de temps. Cependant certains médias sont déjà sortis de ce modèle court (comme les mooks, mélange de magazine et de book tel que 6 mois, La revue dessinée, XXI) et leur réussite laisse penser que les lecteurs ont envie d’une autre manière de penser et de consommer l’information.

De plus, Abramson et Brill ont annoncé publier des auteurs très reconnus (qu’ils n’auront aucune difficulté à recruter au vu de leurs carnets d’adresses respectifs) ainsi que des « étoiles montantes ». Ils écriront également chacun un article par an. Ces célèbres plumes trouveront pour sûr un certain nombre de lecteur.

Mais plus que sa viabilité financière, ce sont les valeurs du projet qui interpellent. Un million de dollars par an ne seraient-ils pas mieux investis pour les médias dans leur globalité ou pour une rédaction toute entière plutôt que versés à douze écrivains quand bien même sont-ils des « étoiles » ?

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.