#Je suis Charlie : l’homme derrière le slogan

Je suis Charlie2Le message « Je suis Charlie » est apparu sur Twitter peu après la tragédie du 7 janvier, avant de connaître une résonance planétaire. Joachim Roncin, journaliste et directeur artistique, est à l’origine de cette formule. Entre hommage aux victimes et opportunisme commercial, portrait de l’auteur du message surement le plus controversé de 2015.

Il a fait le tour du monde en moins de 24 heures. Le triste slogan « Je suis Charlie » est né sur les réseaux sociaux puis a circulé à la vitesse de la lumière sur toutes les lèvres, sur tous les supports de communication, sur tous les écrans. Ces mots, c’est Joachim Roncin qui les emploie pour la première fois. A travers son visuel, lettres grises sur fond noir, il exprime son désarroi et sa tristesse.

Directeur artistique et journaliste musical pour le quotidien gratuit « Stylist » à Paris, il publie le logo désormais mondialement connu sur son compte Twitter @joachimroncin, une demi-heure après les massacres, en reprenant la typographie du journal satirique. « Je n’avais pas beaucoup de mots pour exprimer toute ma peine. J’ai juste eu cette idée d’écrire ce message, notamment parce que je lis beaucoup le livre Où est Charlie avec mon fils : ça m’est venu assez naturellement », a déclaré ce professionnel de l’image au quotidien Le Progrès. « Ce que je voulais dire, c’est que c’est comme si on m’avait touché moi, je me sens personnellement visé, ça me tue, quoi ».

Dépassé par un « succès » planétaire

En un temps record, l’image s’est propagée comme un virus. Des milliers d’hashtags inondent la toile, des centaines de tweets se publient à la seconde, les photos de profil et statuts Facebook se modifient, les affiches sont fièrement arborées partout dans le monde et par tout le monde. Le monde est devenu Charlie, l’effet tâche d’huile a largement dépassé les frontières et le point de non-retour est atteint. « C’est très étrange, ce qui est en train de se passer, ça me dépasse totalement », a confié l’auteur du message à l’Agence France Presse quelques jours après les attentats.

En postant ce tweet, Joachim Roncin a lancé, sans le vouloir, une marque au sens mercatique et sémiologique du terme. Il a donné une véritable identité visuelle aux tragiques événements qui ont fait couler les larmes de la France entière en ce sinistre début d’année.

Le message donné en hommage aux victimes des massacres perpétués par les frères Kouachi a en outre suscité de vives controverses encore alimentées par beaucoup aujourd’hui. Être ou ne pas être Charlie, tel fut le principal débat depuis cette terrible matinée du 7 janvier. Revendiquer la liberté d’expression, soutenir la ligne éditoriale d’un journal satirique, se positionner en faveur ou non de la caricature d’un prophète, exprimer sa compassion, sa colère, sa rancœur. Ou sa peine, tout simplement. Autant d’interprétations possibles, et il faut bien l’accorder, si les arguments peuvent parfois surprendre, ils ne manquent pas. Les dérives du message, toutefois, ne sont plus seulement idéologiques mais bien mercantiles, ce qui agace l’auteur des trois mots désormais mondialement (re)connus.

Scandalisé par les dérives commerciales

Les charognards n’ont pas mis longtemps à pointer le bout de leur nez. Trois jours après les attentats, de nombreux produits à l’effigie « Je suis Charlie » se sont mis en vente sur Internet : tasses, tee-shirt, casquettes, badges et autres accessoires de mauvais goût. Certaines entreprises veulent éviter la polémique et se mettent à l’écart, telle Amazon qui annonçait ne vouloir tirer aucun profit du drame. Ebay a également assuré qu’il s’engageait à reverser « à Charlie Hebdo toute éventuelle commission perçue sur les produits concernés ».

Joachim Roncin, loin d’imaginer pareilles conséquences, se désole : «Je n’ai pas grand chose à dire… Chacun sa conscience. Mais les gens sont dingues, ils ne réfléchissent pas à la portée de ce qu’ils font. Récupérer « Je suis Charlie » à des fins mercantiles, c’est honteux. Des personnes m’ont contacté, j’ai reçu des demandes, que j’ai ignorées ». Sur son compte Twitter justement, il avait ensuite fait savoir : « Le message et l’image sont libres de toute utilisation, en revanche je regretterais toute utilisation mercantile ». A ce jour, 120 demandes de dépôt de marque lui ont été envoyées. L’avocate du journaliste, Me Myriam Witukiewicz-Sebban, a annoncé que son client allait « se baser sur son droit d’auteur pour tenter de maîtriser la diffusion du slogan et pour essayer de conserver le message initial intact ».

Une question reste alors à poser : Dans quelle société vit-on pour que le massacre barbare de dizaines d’innocents puisse susciter, en un laps de temps scandaleusement court, un véritable fonds de commerce de banals produits dérivés ?

Sources: Le Huffington Post, Le Figaro, Paris Match, Le Soir.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.