Aoteaora ou Nouvelle-Zélande ? La langue Māori dans les médias fait débat

 Crédits image : radionz.co.nz

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« Aoteaora » est la traduction de Nouvelle-Zélande en Te Reo Māori, littéralement « la langue māori », deuxième langue officielle du pays avec l’anglais. Si certains éléments de la culture māori sont plus qu’acceptés, comme le fameux haka, ce n’est pas toujours le cas de la langue. Il y a quelques jours, le débat autour de l’usage du Te Reo dans les médias a refait surface après qu’une présentatrice météo a révélé sur Twitter recevoir de nombreuses critiques ; car elle a l’habitude de prononcer quelques mots de māori à l’antenne. Aujourd’hui, seulement 4 % de la population du pays et 23 % de la population māori seraient en mesure de tenir une conversation dans la langue. Quant aux adultes maîtrisant parfaitement la langue, ils seraient aujourd’hui moins de 30 000 dans tout le pays. Alors, langue du passé ou élément culturel inhérent à la Nouvelle-Zélande, faut-il encore parler māori dans les médias en 2015 ?

Une langue en mal de reconnaissance

« Kia ora ». Il y a trente ans, Naida Glavish, employée de poste, lançait un mouvement national de soutien alors qu’elle avait frôlé le renvoi pour avoir salué ses clients en Te Reo Māori au téléphone. Elle est aujourd’hui une figure importante du paysage politique néo-zélandais, devenue présidente du parti Māori. La difficulté de la langue, c’est qu’elle n’est pas parlée dans la vie de tous les jours. Cependant, de nombreux objets ont un nom Māori, l’hymne national de la Nouvelle-Zélande est en anglais et en māori, et surtout, de nombreuses villes du pays portent un nom māori. Aujourd’hui, ce sont de nouvelles critiques qui relancent vivement le débat. Très virulentes, elles ont été adressées à l’encontre de la présentatrice météo de la chaîne 3News Kanoa Lloyd pour avoir glissé quelques mots de māori à la TV lors de ses bulletins. Elle parle notamment de Aoteaora plutôt que de Nouvelle-Zélande pour désigner le pays.

Traduction : « la partie étrange de mon travail : je reçois à présent des plaintes chaque semaine sur le fait de « glisser des mots Māori bizarres » pendant mes bulletins météo.».
Traduction : « la partie étrange de mon travail : je reçois à présent des plaintes chaque semaine sur le fait de « glisser des mots Māori bizarres » pendant mes bulletins météo.».

Parmi les critiques des auditeurs ou téléspectateurs qui se plaignent de l’usage de la langue māori à la radio ou à la télévision, deux principaux arguments ressortent. Le premier est qu’il existe déjà une chaine entièrement en māori et donc, qu’ils ne voient pas pourquoi il faudrait intégrer des mots de māori dans ce qu’ils appellent les chaines « normales ». Et le second argument étant qu’ils ne comprennent pas ce qui se dit car les mots ne sont pas traduits en anglais.

Face à l’attaque personnelle lancée à la journaliste de 25 ans depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux, beaucoup de Néo-Zélandais sont choqués. En effet, ils sont habitués à ce que la langue et la culture māori soient revalorisées depuis quelques années. Kanoa Lloyd reçoit donc beaucoup de messages de soutien. Les médias nationaux répondent eux aussi présents. Parmi eux, Radio New Zealand, The New Zealand Herald et 3News.

Pour Pat Spellman, présentateur radio sur les ondes de Moana Radio (Radio de la ville de Tauranga) et fervent défenseur de la langue māori, l’un des problèmes majeurs faisant que la langue n’est pas encore totalement acceptée est qu’elle a été mise à part plutôt que d’être normalisée. Il confiait à Radio New Zealand : « le problème c’est que la plupart des néo-zélandais pensent que la langue ne les concerne pas car elle n’appartient qu’aux Māoris. Les gens ont l’impression de se sentir exclus quand la présentatrice parle en māori. ». 

Tweet de soutien de Karaitiana Taiuru, défenseur de la langue Māori sur internet.
Tweet de soutien de Karaitiana Taiuru, défenseur de la langue Māori sur internet.

3 News, la chaîne pour laquelle travaille la journaliste a réaffirmé l’importance de la langue :

“We’re not going to stop speaking Māori and if people are challenged by it we just encourage them to keep watching so they can understand a bit more and not find it a negative thing.”

Traduction : « Nous allons continuer à parler māori, et si cela pose problème aux gens, alors nous les encourageons simplement à continuer de regarder nos programmes afin qu’ils puissent mieux comprendre et ne pas considérer cela comme quelque chose de négatif ».

 The Roturoa Daily Post consacrait lui un édito ce 19 février pour soutenir Kanoa Lloyd. Dans celui-ci, le journaliste Kim Gillespie déplore un sinistre retour en arrière. Il développe une explication simple mais pertinente : la peur. Selon lui, la peur de ne pas savoir prononcer les mots en Māori est une raison suffisante pour expliquer le rejet.

 Kim Gillespie : « Il y aura toujours des dinosaures pour se plaindre de la chose qui menace leur vision du monde, même de simples salutations en māori. Mais après, regardez ce qui est arrivé aux dinosaures… »

Un travail de normalisation de la langue qui doit passer par les médias

 Les médias font déjà de plus en plus d’efforts pour que la langue soit vue avant tout comme un héritage culturel précieux. Pour cela, des cours de prononciation Māori sont organisés au sein de certaines rédactions. C’est le cas notamment de Radio New Zealand. J’ai pu assister à un cours de prononciation de 4h avec de nombreux journalistes. Pourquoi ces cours de rattrapage ? Avant tout afin que le langage cesse d’être anglicisé. Les noms de villes notamment ont tendance à être prononcés à l’anglaise et se déforment au fil du temps. Alors, les médias font beaucoup d’efforts pour que la véritable prononciation māori redevienne dominante. Pour l’anecdote, la leçon du mardi pour les journalistes de Radio New Zealand consistait entre autres à savoir prononcer le plus long nom de ville du pays qui n’est autre que : Taumatawhakatangihangakoauauotamateapokaiwhenuakitanatahu.

D’autres évènements tels que la semaine de la langue māori sont mis en place par les médias pour promouvoir la langue et habituer les Néo-zélandais à l’écouter. La musique traditionnelle māori est alors mise en avant et des émissions TV et radio sont diffusées entièrement en māori avec une traduction anglaise disponible. Pour Poia Rewi, responsable de la Commission de la langue māori, « les médias ont un rôle crucial à jouer dans le processus de protection de la langue. C’est plus facile pour eux car la télévision, par exemple, est omniprésente dans le quotidien des gens, ce qui rend l’usage de la langue plus normal avec l’habitude ». 

Et si les journalistes ont un rôle important pour faire accepter la langue, les cours de Te Reo Māori ne devraient pas s’arrêter à l’initiative des entreprises de presse. Le ministère de la Culture et de l’Héritage a récemment publié une liste des 100 « kupu » (mots) Māori que tous les néo-zélandais devraient connaître. Enfin, la proposition qui revient de plus en plus souvent serait l’apprentissage de la langue à l’école et le plus tôt possible. Certaines écoles enseignent déjà le Māori mais les écarts de niveaux sont trop importants. Pour certains tels que Pat Spellman, les cours de Māori devraient déjà être obligatoires dans toutes les écoles du pays. Taihoa. [1]

[1] Conception de l’attente, de l’espoir en Māori.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.