Affaire Rolling Stone : un cas d’école (2/2)

Première partie de l’article

C’est officiel, après cinq mois de polémique, le magazine Rolling Stone retire enfin de son site internet un article qui a attiré les foudres de toute la profession journalistique. Éthique bafouée, enquête négligée, vérification des faits omise… tout le travail de la journaliste à l’origine de cet article a été largement critiqué. Un fiasco journalistique aux relents nauséabonds…

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Face aux critiques de pontes de la profession, Rolling Stone décide de se remettre en question. Le magazine commande un rapport à l’école de journalisme de l’Université de Columbia. L’objectif de ce rapport : cerner les failles journalistiques de l’article publié.

Steve Coll, journaliste lauréat du Prix Pulitzer, est chargé de mener ce rapport. Rolling Stone coopère comme il peut : l’équipe de Columbia obtient les notes de la journaliste Sabrina Rubin Erdely, les différentes versions de l’article sont épluchées et tous les journalistes ayant pris part à son édition sont interrogés.

Conclusion, un rapport de 8 000 mots au verdict implacable : cet article, c’est « l’histoire d’un échec qui est évitable ». Le rapport fait état de règles « de bases, routinières » qui n’ont pas été respectées.tweetrollingstone

Sur les méthodes de la journaliste d’abord. Les auteurs du rapport épinglent les pratiques d’Erdely dans son enquête. La journaliste avait rencontré Jackie, son témoin principal, par le biais d’une association d’aide aux victimes de viol de l’Université de Virginie. Pendant quatre mois, la journaliste interviewe sa source à sept reprises par téléphone et de visu.

Et selon le rapport, l’une des principales faiblesses de l’article, c’est justement de n’être fondé que sur ce témoignage unique. Considérée comme une « lanceuse d’alerte » par la rédaction et la journaliste, le magazine « a mis en jeu sa réputation sur la foi d’une seule source ». Steve Coll souligne qu’aucun commentaires des autres témoins de l’affaire n’ont été collectés, tant du côté des amis de Jackie, que du côté des agresseurs présumés. Une faute grave dans le processus journalistique.

Et sur cette question, les responsabilités sont peu à peu décernées.

Avec le recul, j’aurais aimé que quelqu’un me pousse davantage. J’étais un peu surprise que personne n’ai dit « pourquoi ne les as-tu pas appelés ? » Mais personne n’a rien dit, et je n’allais pas leur forcer la main

— Sabrina Rubin Erdely, rédactrice de l’article “A rape on campus”

Effectivement, d’après le rapport, ce choix de voix unique provenait aussi de la rédaction de Rolling Stone. Avec une enquête plus fouillée, et à terme, complète, la journaliste « aurait peut être découvert des choses qui auraient forcé Rolling Stone à revoir ses plans ». Dans cette affaire, c’est donc toute la rédaction de Rolling Stone qui en prend pour son grade. Steve Coll et son équipe soulignent « un échec qui englobe le reportage, la relecture, la supervision éditoriale et la vérification des faits. »

L’un des aspects qui retient notamment l’attention des examinateurs, c’est aussi l’utilisation du pseudonyme. Dans l’article « A rape on campus” », les manquements de l’enquête ont été passés sous silence, notamment par l’absence de sources et l’utilisation excessive et injustifiée du pseudonyme. Et pour les journalistes de Columbia, le constat est unanime : « les pseudonymes sont fondamentalement indésirables dans le journalisme. Ici, leur utilisation n’a servi au magazine qu’à éviter de se confronter aux trous de son enquête. »

Et pour de nombreux observateurs, pas question de justifier de tels manquements journalistiques par les baisses d’effectifs au sein de la rédaction du magazine. « Le manque de ressources » n’a rien à voir avec cet échec spectaculaire.

Le problème tient dans la méthodologie, aggravé par un environnement dans lequel plusieurs journalistes avec des décennies d’expérience collective n’ont pas pris conscience et débattu des problèmes dans leur enquête.

— Extrait du rapport de l’équipe de Steve Coll

Un rapport « difficile à lire », souligne Will Dana, le rédacteur en chef de Rolling Stone. Le magazine a présenté ses excuses aux lecteurs tant pour l’article, que pour la gestion de toute l’affaire. L’article a officiellement été retiré du site internet et remplacé par le rapport accablant de l’équipe de Columbia.

« Un fascinant document sur ce que peut être un fiasco journalistique », souligne le rédacteur en chef du magazine… Bref, une leçon de journalisme.

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