« Noirauds » de Bruxelles : la « sottise » de François Beaudonnet qui « a fait frôler l’incident diplomatique »

Le correspondant permanent de France 2 à Bruxelles, François Beaudonnet, était loin d’imaginer les réactions qu’allait susciter la diffusion de son reportage sur le « défilé des Noirauds ». Pour la première fois cette année, le Ministre belge des affaires étrangères s’est pris au jeu et s’est déguisé en « Roi nègre », ce que France 2 n’a pas manqué de relever. Alors que le Ministre se réjouit de faire partie d’un groupement alliant folklore et philanthropie, le journaliste parle de « racisme » et de « néocolonialisme » : on a frôlé l’incident diplomatique.

Vous avez dit « Noirauds » ?

Les « Noirauds » sont nés en 1876, lorsque un collectif de bons bourgeois bruxellois décide de débuter une collecte de fonds pour sauver une école bruxelloise en faillite. De peur d’être reconnus par leurs congénères dans les restaurants chics, les salles de spectacles et les clubs mondains où ils font leur quête, ces collecteurs décident collégialement de se déguiser en « notables d’Afrique » : maquillage noir, haut-de-forme blanc, habits noirs et pantalons bouffants. Rien de bien choquant à l’époque, la Belgique n’était pas encore partie à la conquête de l’Afrique.

L’école des Marolles a été sauvée et les années ont passé. Depuis 1959, la congrégation des Noirauds fréquente les restaurants de Bruxelles le soir du deuxième samedi de mars, toujours pour récolter de l’argent destiné cette fois à venir en aide à « la petite enfance » dans sa globalité. Seulement voilà, depuis plus d’un siècle le monde a évolué, le Congo a été colonisé puis décolonisé, et les accessoires d’hier, pouvant paraître racistes, sont toujours d’actualité. Un ensemble d’éléments qui peuvent laisser penser que les Noirauds sont l’héritage d’une conception particulièrement paternaliste de l’Afrique.

« Tradition généreuse ou folklore aux relents colonialistes ? »

C’est la question que le correspondant de France 2 à Bruxelles, François Beaudonnet, a souhaité (osé) soulever le 18 mars dernier. Dans son reportage, le journaliste français explique que « les symboles pouvant paraître racistes sont restés, ce qui n’a pas dissuadé le Ministre des affaires étrangères d’endosser le costume de Noiraud. »

François Beaudonnet / “Noirauds” from Lucas Babillotte on Vimeo.

Après la diffusion du reportage, le journaliste va ainsi se demander  :

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Ce à quoi le principal intéressé, Didier Reynders, va très vite répondre sur son blog :

Cette collecte sert à prendre financièrement et individuellement en charge les besoins des enfants, auprès par exemple des hôpitaux, des écoles, des pharmacies, directement, sans distribuer d’argent ni passer par les parents. (…) La devise des Noirauds est « Plaisir et Charité ». Les deux volets ont été pleinement rencontrés cette année encore et c’est avec bonheur et bonne humeur que j’y ai participé.

Le Ministre des affaires étrangères l’assure, il n’y a nul symbole raciste dans ce déguisement des Noirauds. Cela aurait pu s’arrêter là mais ce n’est pas le cas.

L’information a fait le tour du monde

L’information a très vite circulé sur les réseaux sociaux : les Inrocks ont évoqué un « malaise », Jeune Afrique s’est demandé s’il s’agissait d’un défilé généreux ou d’une parade colonialiste puis l’information a fait le tour du monde : The Independent, CNN, le Washington Post se sont emparés du sujet. L’information a même été relayée par NBC News avant d’être prise très au sérieux par le directeur du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies, Peter Bouckaert qui a lancé sur Twitter :

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(Littéralement : « Allez-vous vous présenter avec ce visage teint en noir lors de votre prochaine rencontre avec des responsables africains ? Honte à vous ! »)

L’actrice et activiste américaine Mia Farrow a de son côté retweeté un message d’un autre responsable de l’organisation de défense des droits de l’homme qui jugeait « choquant » et « embarrassant » que le ministre se soit accoutré de la sorte :

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Et la polémique est encore montée d’un cran lorsque un groupe d’universitaires auxquels se sont joints l’activiste politique belge Dyab Abou Jahjah, fondateur de la ligue arabe européenne, et la créatrice de mode Rachida Aziz, a réclamé la démission du ministre Reynders pour s’être déguisé en « Noiraud ».

Les journalistes belges sont montés au créneau

Les journalistes belges s’en sont alors mêlés pour défendre leurs traditions, et leur Ministre accessoirement :

« Les journalistes français souffrent-ils d’un manque de connaissances sur le folklore de la capitale ? », s’est interrogé Le Soir.

Pour L’Echo, c’est la méconnaissance du folklore bruxellois qui a fait frôler l’incident diplomatique.

L’ancien bâtonnier du barreau de Bruxelles, Me Jean-Pierre Buyle, interrogé par nos confrères belges de La Libre y voit de son côté :

Une sottise de journaliste français en mal d’informations. On essaie de faire « buzzer » une information qui n’en est même pas une. Les Noirauds sont vraiment la zwanze bruxelloise. C’est tout à fait bienvenu dans la population ; j’ai collecté plusieurs fois dans les restaurants et je n’ai jamais vu quelqu’un qui critique les Noirauds sur cette question.”

Christian Carpentier, journaliste du groupe SudPresse, tient lui à préciser que Didier Reynders n’est pas venu trouver France 2 mais que c’est France 2 qui est venu le trouver :

Il ne l’a pas cherché. Il n’a pas convoqué la presse. S’il l’avait fait, il aurait pris Sud Presse et Paris Match.

La Libre joue la carte de l’apaisement en rappelant que d’autres personnalités ont déjà participé à la collecte des Noirauds par le passé telles que le roi Philippe et le Prince Laurent ou encore Freddy Thielemans et Jacques Mercier mais également que des artistes français tels que Johnny Halliday et Francis Cabrel ont aussi parrainé financièrement l’association. Didier Reynders n’était d’ailleurs pas seul ce jour-là puisqu’il était accompagné par Yvan Mayeur, le bourgmestre (maire) de Bruxelles.

L’apaisement, c’est aussi ce que recherche le président de la congrégation, Jean-François Simon, lorsqu’il précise que Didier Reynders ne fait pas partie des 58 membres des Noirauds, mais qu’il a uniquement rejoint le mouvement au moment de sa collecte annuelle au profit des enfants défavorisés.

Passes d’armes sur Twitter

Mais les choses sont allées encore plus loin sur Twitter où les confrères belges de François Beaudonnet lui sont littéralement tombés dessus :

« Vous avez sali l’image de la Belgique », a notamment tweeté un journaliste.

« Ce n’est pas un sujet, les Noirauds ne sont pas racistes », a écrit un autre.

S’en sont suivies des passes d’armes entre journalistes français et belges. Philippe Walkowiak, journaliste et éditorialiste à la RTBF, a notamment lancé :

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Ce à quoi le journaliste de France 2 a répondu :

Au lieu de parler du traitement que j’ai fait des #Noirauds, pourquoi ne traitez-vous pas vous même le sujet sur le fond ? (…) Le sujet n’est pas que je m’interroge. On s’en moque. Le sujet est : pourquoi ne traitez-vous pas le sujet vous-même ?

Un autre journaliste de la RTBF, Julien Vlassenbroek, a alors essayé de calmer le jeu :

Perso, je trouve intéressant ce point de vue distancié. C’est une question qu’on a tort de ne pas se poser…

Les échanges s’en sont arrêtés là mais la polémique est sans doute loin d’être close.

En soulevant ces questions, François Beaudonnet n’a aucunement souhaité critiquer l’intention louable de ce collectif folklorique mais s’est interrogé quant à la forme de leur action. Le fait de se grimer de noir ne pose-t-il pas finalement la question de connotations racistes ? Les avocats, comédiens, hommes politiques et autres « Noirauds » ne pourraient-ils pas récolter suffisamment d’argent s’ils apparaissaient à visage découvert ? Cette tradition qui se voulait humoristique à ses débuts a-t-elle toujours sa place dans le monde actuel et dans une ville aussi multiculturelle que Bruxelles ?55

Dans un pays tant vanté pour sa liberté d’expression, il serait faux et ô combien facile de dire que les Belges ne souhaitent pas répondre à ces questions. Pour cela, encore faudrait-il qu’ils veuillent bien se les poser.

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