Je suis Hrant Dink

Hrant Dink, journaliste de Agos, un journal arménien été tué en 2007 alors qu'il sortait de son bureau

Le 19 janvier 2007, Hrant Dink, le directeur de publication de l’hebdomadaire turco-arménien bilingue Agos, était froidement abattu de trois balles dans la tête alors qu’il quittait la rédaction de son journal à Istanbul. Un assassinat qui avait suscité la consternation en Turquie, à l’instar des événements de janvier après l’attaque des locaux de Charlie Hebdo. Portrait d’un personnage et d’une figure de la liberté d’expression en Turquie, assassiné pour avoir fait preuve de courage, en heurtant des convictions préétablies dans son pays.

Au lendemain de son assassinat, l’ancien premier ministre et actuel président Recepp Tayyip Erdogan avait aussitôt déclaré que la « liberté d’expression en Turquie » était visée par ce crime. Plusieurs centaines de manifestants s’étaient rassemblés spontanément sur les lieux du meurtre scandant : « nous sommes tous Hrant Dink » à l’image des manifestations du 11 janvier dernier en soutien à Charlie Hebdo. Le journaliste d’origine arménienne appartenait à la nouvelle génération courageuse de Turco-Arméniens désireux de faire connaître les opinions, les difficultés et les souffrances des minorités. Non pas seulement celles des minorités arméniennes, mais surtout de toutes les minorités de Turquie.

Fervent défenseur de la démocratie et de la liberté d’expression, il fut le premier à qualifier le massacre des arméniens en 1915 de « génocide ». Il n’a pas hésité à affirmer des prises de positions courageuses, heurtant parfois les convictions de l’Etat et d’une majorité de turcs sur une question encore tabou en Turquie. Le journaliste avait été poursuivi en justice pour avoir déclaré en conférence qu’il ne se sentait pas « turc » mais « arménien de Turquie » et pour avoir tenu dans l’une de ses chroniques des propos « d’insultes à l’identité turque ». De nombreux médias n’avaient pas manqué de le qualifier de « traître ». Pendant des années, le journaliste faisait les frais d’un véritable lynchage médiatique.

Le vendredi 24 avril, journée de commémoration des cents ans du « génocide » arménien, des centaines de personnes lui ont rendu un vibrant hommage. Les mains liées par des cordes, le portrait du journaliste était élevé en tête du cortège devant la gare d’Haydarpaşa d’Istanbul. Un lieu symbolique dans la mesure où cent ans plus tôt, le premier convoi d’intellectuels arméniens était déporté en ces lieux. Rassemblés devant la gare désaffectée, les manifestants voulaient envoyer un message fort. Et surtout briser un tabou qui subsiste encore aujourd’hui au sein de la société turque. Sur les pancartes, on y lisait des noms, ceux de Taniel Varujan, Nerses Papazyan, Nazaret Dağavaryan, des intellectuels arméniens déportés au début du siècle dernier.

Des centaines de personnes se sont mobilisés pour commémorer les cents ans du massacres d'arméniens en 1915 à Istanbul.

Au milieu de la foule, Elim, arménienne de Turquie, brandissait en haut du cortège le portrait de Hrant Dink. « Il était le symbole de la fraternité et de la mobilisation de la nation à travers son combat en Turquie, où il tentait de démontrer aux gens la réalité de l’Histoire, ce qu’il s’est vraiment passé en 1915, et ce que le gouvernement et les Etats ont causé au peuple arménien, et à d’autres peuples », avait-elle déclaré à Horizons Médiatiques.

Et si Elim participait à ce rassemblement ce jour-là, c’était aussi parce que son grand-père, âgé de quinze ans après le massacre, comme beaucoup d’Arméniens de son époque avait changé son identité. « Après 1915, il a dû changer de nom. En fait après le génocide, beaucoup d’Arméniens d’Anatolie ont dû adopter la nationalité turque. C’était en quelque sorte une manière de se protéger », nous expliquait-t-elle.

cordes commemoration massacre 1915

Dans sa dernière chronique publiée dans Agos, Hrant Dink avait exprimé sa profonde tristesse de voir sa boite mail saturée de messages de haine et de menaces, et il envisageait de quitter le pays tout comme le firent nos ancêtres en 1915… Sans savoir où nous allions… Marchant sur les mêmes routes qu’ils avaient autrefois parcourues… subissant les mêmes supplices et connaissant les mêmes souffrances… ». À plusieurs reprises, il insistait sur le processus de démocratisation qui était selon lui, la condition d’une reconnaissance du passé en Turquie. Une démocratisation bien plus importante selon lui que la reconnaissance en elle-même du génocide des Etats étrangers.

Huit ans après sa mort, la justice turque a reconnu que son meurtre était l’œuvre « d’une organisation criminelle ». D’après plusieurs journalistes d’investigations, certains membres des forces de l’ordre et des services de renseignement de l’époque auraient été informés des préparatifs de l’assassinat, mais n’aurait rien fait pour l’en empêcher. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ayant rendu des conclusions similaires, avait alors condamné la Turquie en 2010.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.