Le journalisme participatif à la dérive ?

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Capture d’écran, « Saint-Denis : le commerce des vidéos amateurs », Le Petit Journal, 18/11/15

 

Pendant et après les attentats du 13 novembre, les vidéos amateurs ont afflué dans les rédactions et tournaient en boucle sur les chaînes d’information en continu. Un processus démocratisé sous le terme de « journalisme participatif ». Mais cette pratique a eu tendance à dériver ces dernières semaines.

« Actuellement, tout le monde filme dans les manifestations, c’est tout à fait tendance, les gens veulent participer à la fabrique de l’information. » Cette tendance, soulignée par Nicolas Filio, ancien rédacteur en chef de Citizenside, s’est généralisée dans les années 2005 avec le lancement du site participatif Agoravox. Le principe : aucun journaliste, n’importe qui pouvait devenir rédacteur et la modération des pages était laissée au bon vouloir des contributeurs.

Aujourd’hui, le modèle du participatif est aussi en crise. En 2015, plusieurs sites d’information ont fermé les commentaires en fin d’articles : Reuters, le Toronto Sun, etc. Les remarques seraient trop souvent de médiocre qualité et finiraient par ternir l’image du journal qui les héberge. De plus, le lieu de la discussion avec les lecteurs s’est déplacé sur les réseaux sociaux. La déception semble être générale dans la profession vis-à-vis de ce système dont elle attendait un échange enrichissant.

Le cas d’Agoravox pourrait, à lui seul, résumer les limites du participatif. Outre la multiplication des articles conspirationnistes, c’est la nature même du pure player qui a conduit à son auto-destruction. Entre 2008 et 2012, les grands blogueurs d’Agoravox ont supprimé leur compte en raison de publications de données personnelles et de menaces d’autres blogueurs à leur encontre.

https://www.youtube.com/watch?v=TiFCYfbsZJQ

« Tous journalistes ? » (Libération, août 2005)

L’achat de vidéo par des journalistes à des témoins n’est pas nouveau en soi. Néanmoins, cette pratique se fait, le plus souvent en privé ou sous forme de dons faits aux rédactions. Ici, les journalistes marchandent les images de l’assaut sur la place publique. Outre la démarche plus ou moins éthique des professionnels, la réelle dérive du journalisme participatif tient dans la sécurité de ceux qui s’engagent dans la production de l’information.

Les amateurs n’hésitent plus à risquer leur vie ou à contourner la loi pour pouvoir vendre des images de terrain au prix fort. L’idée du participatif au départ est d’engager le lecteur dans la réflexion autour de sujets soulevés par les journalistes, d’apporter leur aide pour la collecte de données, de financer des projets… Pas de les faire jouer avec leur vie. Certes, des pratiques comme celles des « Observateurs » de France 24 donnent aux internautes la possibilité de s’impliquer, en témoignant directement sur le terrain. Mais ces derniers sont déjà connus de la rédaction, ils ont fait leurs preuves et sont dignes de confiance. Les cameramen de Saint-Denis en sont à leur première vidéo.

Bien que la pratique soit houleuse, le journalisme participatif ne doit pas être proscrit. L’échange dans la fabrication de l’information est aussi le parti pris du rédacteur en chef de Rue89 :

« Nous croyons toujours que la relation directe entre lecteur et journaliste est une bonne chose. Que la possibilité donnée au lecteur de contredire, rectifier, informer est saine et que la co-construction de l’information permet de rendre compte de réalités que les journalistes seuls auraient peut-être du mal à repérer. » Mathieu Deslandes, rédacteur en chef de Rue89, pour le Mooc Rue89 « Écrire pour le web ».

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