La liberté de la presse sénégalaise menacée par le flou juridique

Image Baptiste Madinier
La conférence de presse d’Amnesty International. Image Baptiste Madinier.

Le Sénégal est souvent perçu comme un modèle en matière de liberté de la presse en Afrique de l’Ouest, voire en Afrique tout court. Pourtant sous les apparences, des manquements viennent limiter la marge de manœuvre des journalistes, comme le flou juridique qui entoure le code de la presse. Amnesty International a épinglé le pays sur la question.

Il ne faut pas aller à la conférence de présentation du rapport annuel d’Amnesty International dans l’espoir d’entendre de bonnes nouvelles. Chaque fois, l’ONG arrive à peindre un tableau un peu plus noir de la situation des droits de l’Homme dans le monde. Ici, la rencontre s’est principalement concentrée sur la copie du Sénégal, qui est loin d’être rose. On pourrait même dire qu’Amnesty a vu rouge quant à la situation de la presse dans le pays. Le nom du paragraphe consacré à cet enjeu est révélateur : « des tentatives de museler la presse ».

Un cadre juridique trop flou

Le rapport d’Amnesty fait état de l’arrestation, en juillet dernier de Mohammed Guèye et d’El Hadj Alioune Badara Fall, directeurs de publication respectivement du Quotidien et de L’Observateur. Mohammed Guèye est accusé d’avoir publié le procès-verbal d’un chanteur, et donc d’avoir violé le secret de l’instruction. Sa consœur est incriminée pour avoir révélé des informations sur l’envoi de troupes sénégalaises au Yémen. Les deux ont été accusés de troubles à l’ordre public.

Mohamed Guèye déplore avoir été emprisonné alors qu’il aurait dû, tout au plus, s’acquitter d’une amende. Mais le cadre juridique dans lequel évoluent les journalistes sénégalais est très flou. La liberté des médias est réelle, et les journalistes peuvent exercer leur rôle de contre-pouvoir… avec modération. Lorsque Seydi Gassama, le directeur d’Amnesty International Sénégal, clame « stop au harcèlement des journalistes », il s’inquiète que les amendes et peines de prison ne puissent pousser à l’autocensure.

La question du code de la presse

C’est que le Sénégal n’a pas code de la presse ! Même le Togo en possède un, et pourtant les journalistes y sont moins libres. Au pays de la Teranga, la question du code de la presse est en suspens depuis 2010. Le point de friction se situe justement au niveau de la dépénalisation des délits de presse. « Que les peines privatives de libertés soient supprimées de ce code » a déclaré Amnesty en ajoutant que c’est la faute des politiciens : « Chacun invoque sa petite histoire avec la presse pour dire, on ne va jamais abolir les délits de presse ».

Certains craignent en effet que cette disposition offre une liberté sans limites aux journalistes. Le nouveau code de la presse devrait être examiné au mois de mars par l’Assemblée nationale, mais il est possible que l’article concernant la dépénalisation des délits de presse n’y figure pas. Le code devrait, quoi qu’il en soit, donner un cadre juridique qui pourra servir de référence pour les journalistes et la justice. Plus question alors de se retrouver en prison pour n’importe quelle raison.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.