Médias belges et français : prudence et insubordination

capture d'écran - Le Monde

Alors que les interventions de police et attentats se multiplient depuis le début du mois de mars dans la région de Bruxelles, la Belgique est au cœur de toutes les attentions médiatiques. Les récentes affaires de terrorisme, qui ont fortement ébranlé l’image du pays, ont engendré un important flot médiatique côté français, dont les débordements auraient pu être lourds de conséquences. Des erreurs qui font émerger un important décalage entre les deux pays dans la diffusion et la gestion de l’information en temps de crise.

Différence de relations entre médias et police

Dans des circonstances exceptionnelles, des mesures exceptionnelles doivent souvent être prises. Ce fut le cas en France au lendemain des attentats du 13 novembre 2015. Comme le rappelle le journal Le Monde, dans un article consacré aux attentats de Bruxelles, le 14 novembre 2015,  « le CSA avait “attiré très vivement l’attention des rédactions des télévisions et des radios sur la nécessité de ne donner aucune indication susceptible de mettre en cause le bon déroulement des enquêtes en cours” ». Si ces injonctions ont été largement respectées, « attirer très vivement l’attention » n’est pas imposer, le CSA n’ayant fait qu’émettre des recommandations à destination des entreprises médiatiques françaises.

À l’inverse, en Belgique, les médias sont en relation directe avec la police et les instances de justice, et l’absence d’organe décisionnel intermédiaire peut paradoxalement s’avérer plus dissuasive. Dans le même article du Monde, il est précisé que « vers 13 heures, le parquet fédéral a “demandé à la presse de s’abstenir de communiquer des informations relatives à l’enquête judiciaire en cours afin de ne pas nuire à l’enquête”. Cela faisait suite à une information selon laquelle des perquisitions étaient en cours dans la commune de Schaerbeek, publiée notamment par la RTBF ». Une injonction à laquelle les médias belges sont habitués, et ont répondu positivement.

Différence culturelle

Cette différence de relation et de comportement entre les entreprises françaises et belges est également le fait d’une différence culturelle que souligne Le Monde. Côté belge, les groupes médiatiques se prêtent plus aisément au jeu de la rétention d’information, et cernent naturellement les enjeux de celle-ci lorsqu’elle est nécessaire. Une tendance tellement évidente qu’aucune recommandation ni instruction n’a été faite lors de l’arrestation de Salah Abdeslam le 18 mars dernier : les médias belges ont naturellement choisi de ne rien révéler pour ne pas entraver le travail des forces de l’ordre.

Christophe Berti, rédacteur en chef du journal Le Soir, témoigne qu’il n’y avait eu « aucune demande officielle ou officieuse ni aucune communication générale à l’adresse des médias » lors de ces événements. De la même façon, lors des attentats du 22 mars 2016 à l’aéroport de Bruxelles Zaventem, une source proche de la radio RCF Sud Belgique et travaillant sur place révélait volontiers des détails sur les opérations en cours, mais réclamait systématiquement que ceux-ci ne soient pas diffusés.

Un comportement de prudence intériorisé et assimilé par les médias belges et leurs sources, à l’inverse de l’insubordination de certains médias français dont les révélations auraient pu être lourdes de conséquences. En premier lieu, l’on peut mentionner les poursuites pénales déclenchées par Lilian Lepère, employé de l’imprimerie de Dammartin-En-Goële où a eu lieu la prise d’otage des frères Kouachi deux jours après les attentats de Charlie Hebdo. Alors qu’il était caché dans le bâtiment sans que les ravisseurs ne le sachent, France 2, TF1 et RMC ont dévoilé des informations concernant sa présence sur place : une attitude considérée par l’avocat de Lilian Lepère comme une mise en danger de la vie d’autrui. C’est suite à cette polémique que le CSA a jugé nécessaire d’attirer l’attention des médias sur les enjeux de la diffusion de l’information lors d’opérations policières.

Plus récemment, l’attitude de L’Obs a défrayé la chronique au moment de l’arrestation de Salah Abdeslam à Molenbeek-Saint-Jean. Le 18 mars 2016, le journal révélait que l’ADN de Salah Abdeslam avait été retrouvé dans un appartement de la commune de Forest, perquisitionné quelques jours plus tôt par la police belge. Des révélations qui ont poussé les forces de l’ordre à anticiper leur opération à Molenbeek dans le but d’arrêter le terroriste avant qu’il n’apprenne que sa présence sur le territoire belge était confirmée. Face à cette polémique, Matthieu Croissandeau, directeur de L’Obs, se défend : « chacun est dans son rôle. La police cherche les criminels, la presse informe. C’est une information que nous avons jugée digne d’être portée à la connaissance du public. » Certes, mais lorsque sécurité et information entrent en contradiction, que faudrait-il faire prévaloir ?

Si la France semble avoir appris de ses erreurs, avec l’intervention notable du CSA dans la régulation de la diffusion de l’information en période de crise, des efforts sont encore à faire pour gérer l’insubordination de certaines entreprises médiatiques. De son côté, la Belgique donne l’exemple de façon naturelle, mais il ne faut pas oublier que l’excès de prudence et la systématisation de la rétention d’information peuvent aussi engendrer des dérives.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.