Et si El País passait au « tout numérique » ?

Image CC Esther Vargas.
Image CC Esther Vargas.

 

À l’aube de son quarantième anniversaire, El País entame les grandes manœuvres. Son directeur, Antonio Caño, s’est adressé à ses journalistes dans une lettre ouverte affichant clairement les intentions du groupe : préparer l’abandon définitif de la version papier. Un pas de plus vers le « tout numérique » sponsorisé par Google.

Le groupe PRISA, détenteur également du quotidien sportif AS, de la radio généraliste Cadena SER ou du pure player El Huffington Post, veut faire de son titre principal « une grande plate-forme génératrice de contenus » sur le web et par les applications mobiles et tablettes. Une stratégie similaire à celle adoptée par le journal anglais The Independant, disponible exclusivement en ligne depuis le 21 mars dernier, qui s’accompagnera d’une refonte complète de la rédaction. Cette autre mesure phare défendue par Antonio Caño dans son billet est très loin de faire l’unanimité chez les journalistes.

Ravalement de façade total

« Dans les prochains jours, la première phase des travaux qui conduiront à l’installation d’une nouvelle rédaction va se conclure. Et avec elle viendra le moment de la conversion d’El País en un journal essentiellement numérique ». Le directeur du journal de presse écrite le plus vendu en Espagne annonce la couleur : pas de nouvelle édition sans nouvelle rédaction. Sous cette déclaration aux allures de condition sine qua non, se cache la volonté de restructurer la fois l’espace de travail et la composition de l’équipe rédactionnelle en place.

Un grand open space mêlera techniciens du web, staff marketing et journalistes pour encourager « l’échange d’idées ». Cette annonce a été précédée d’une réunion avec les journalistes visiblement tendue, si l’on en croit le témoignage de l’un d’entre eux recueilli par Le Monde. Une rédaction forcement inquiète du sort que lui réservent les décideurs du groupe, et qui pourrait faire les frais des bouleversements engendrés par cette petite révolution au sein du journal. On se souvient du plan de licenciement massif de 2014, au cours duquel 129 journalistes avaient été remerciés suite à un plan social.

Cette crise interne avait eu un sérieux impact sur la crédibilité du titre vis-à-vis de ses lecteurs, engendrant une baisse 15 % de la distribution en kiosque (221 389 exemplaires par jour en moyenne). Pourtant Caño l’assure : « nous continuons à être le journal de presse écrite le plus vendu en Espagne et nos éditions numériques ont obtenu ces dix-huit derniers mois des croissances spectaculaires ».

Google, mécène de poids

En détaillant les étapes de ce passage au tout numérique, Antonio Caño énonce également les nouvelles menaces auxquelles le quotidien devra faire face. Parmi elles, deux sont bien connues des éditeurs de presse en ligne : « les bloqueurs de publicité » et « l’instauration de la culture du gratuit ». Mais pour pallier ce potentiel manque à gagner, le journal le plus vendu d’Espagne peut s’appuyer sur un allié de taille, en la personne de Google.

Grâce à un nouveau fonds d’innovation doté de 150 millions d’euros sur trois ans, le mastodonte du web financera le projet de transition numérique du quotidien. Die Zeit en Allemagne, The Financial Times et The Guardian au Royaume-Uni, NRC Media aux Pays-Bas ou encore La Stampa en Italie font partie des autres bénéficiaires de ce fonds. Un coup de pouce pour la conversion numérique complète d’El País, même si son directeur préfère rester prudent : « cela ne signifie pas que la bataille soit gagnée ni que notre survie soit garantie. »

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.