#metoo au Royaume-Uni : un traitement médiatique au prisme du politique

Alexander Seale (crédits : Cypriane El-Chami)

Comment les médias britanniques ont-ils traité des affaires de harcèlement et agression sexuelles ? Quelles interférences les tabloïds ont-ils pu créer avec les médias « traditionnels » par leur traitement de #metoo ? Quel idéal de journalisme a transparu dans les choix déontologiques de certains journalistes ? Réponses d’Alexander Seale, journaliste « free-lance » londonien pour RFI English et Radio Canada. Il a également travaillé à BBC Africa. Nous revenons ensemble sur des épisodes médiatiques marquants autour de #BalanceTonPorc et #metoo, des deux côtés de la Manche, pour mieux comprendre les différences de pratique du journalisme dans ces deux pays.

Vous travaillez pour trois chaînes de télévision différentes. Avez-vous eu à parler du phénomène #BalanceTonPorc ou de #metoo ?

Pas du tout, mais j’ai bien suivi l’actualité, en France, aux Etats-Unis et même en Angleterre, où certains ministres ont dû démissionner parce qu’ils étaient accusés de harcèlement sexuel. Il s’agit de l’ancien ministre de la Défense [Michael Fallo, ndlr] et du vice-Premier ministre [Damian Green, ndlr]. En France, deux ministres, Gérald Darmanin et Nicolas Hulot sont également accusés de harcèlement sexuel, ils sont toujours au gouvernement. Dans ce pays, ils auraient immédiatement démissionné.

Justement, sur les deux cas que vous citez, comment est-ce que les affaires sont-elles sorties dans la presse ?

Une femme a porté plainte contre l’ancien ministre de la Défense, qui lui aurait mis une main sur sa jambe. Cela a été repris par différents médias, c’est ce que l’on a appelé le « Pestminster ». Concernant le vice-Premier ministre, il s’agit d’une affaire vieille de dix ans, où il aurait été accusé de harcèlement sexuel. On aurait retrouvé des images pornographiques sur son ordinateur, reprises dans différents journaux. Comme il s’agissait de deux affaires embarrassantes et difficiles pour la Première ministre Theresa May, elle a préféré les virer.

Est-ce que ces affaires ont plutôt été reprises par les « grands médias » britanniques ou par les tabloïds ?

Les tabloïds ont largement parlé de cela, le Telegraph aussi, qui est un journal de droite. Le Guardian, pas vraiment, ils n’ont fait que quelques pages là-dessus. Mais sur la BBC, vous avez chaque soir une revue de presse à 22h30 où deux personnes sont invitées à commenter la presse – et à cette occasion, ils en ont largement parlé. Après le mini-remaniement [au sein du gouvernement de May], ils ont également beaucoup débattu de qui allait remplacer qui etc.

Mais alors, est-ce que vous diriez que le sujet était traité de manière sociétale ou politique ?

C’était un sujet politique, en novembre-décembre de l’année dernière surtout. Il faut savoir que Theresa May était en grande difficulté pour les négociations sur la Phase Une du Brexit, notamment sur la question de la frontière irlandaise. Elle a dû virer des poids lourds de son gouvernement, notamment son vice-Premier ministre, qui était un allié important pour elle. Les journaux de droite, comme le Daily Express – qui sont en faveur du gouvernement et du Brexit – ne voulaient pas la démission de Damian Green. Les journaux savaient qu’un changement de gouvernement pourrait retarder le Brexit et en parlaient sous cet angle.

Depuis l’attaque de Salisbury, la Première ministre est légèrement en position de force. Elle a été félicitée par tous les députés, Conservateurs et Travaillistes. Le Brexit est un petit peu passé au second plan et #metoo aussi (en tant que sujet politique). Ceci dit, la tribune de Catherine Deneuve a reçu beaucoup de critiques de la part de féministes, notamment dans le Guardian. Mais ce sont surtout les tabloïds qui ont rapporté l’affaire #metoo dans les détails.

Vous parlez de la lettre ouverte de Catherine Deneuve. J’ai l’impression qu’en France, plutôt que des articles, les journaux publiaient des tribunes, des éditos, écrits par des féministes, des philosophes, des actrices… Avez-vous observé le même phénomène en Angleterre ?

Contrairement à la France, les journaux ici ont des « opinion columns ». Des journalistes, des politiques ou des personnes de la société civile peuvent écrire des papiers pour le Guardian, le Telegraph pour s’exprimer sur la tribune de Deneuve ou sur #metoo par exemple. Il y a eu beaucoup d’articles de ce genre. Mais je suis convaincu que ces articles d’opinion portent une valeur journalistique.  C’est important pour la démocratie, parce que cela représente la pluralité des opinions.

Autre affaire : les révélations sur Nicolas Hulot dans l’ebdo, fortement critiqué par la profession comme n’ayant pas suffisamment de preuves tangibles pour publier ce genre d’article. Certains, comme Denis Robert dans l’Obs, sont allés jusqu’à dire que parfois, quand on a une information et que c’est « parole contre parole », il vaut mieux « la fermer et ne rien dire » plutôt que de publier une information dont on n’est pas spécialement sûrs… Qu’en pensez-vous ?

Nicolas Hulot est un ministre important d’Emmanuel Macron, qui avait dit lors de sa campagne présidentielle qu’il voulait un gouvernement irréprochable. Mais rien n’a changé. Darmanin n’a pas démissionné. De plus, ebdo est un nouveau magazine, je crois qu’ils ont voulu faire parler d’eux. En plus, Nicolas Hulot était critiqué pour être un peu absent en matière d’écologie… Si ebdo avait une information, c’est leur droit et c’est important de la publier. C’est le sens du vrai journalisme. Il ne faut rien cacher, ni publier quelque chose juste pour faire du buzz. Il faut faire du journalisme honnête.

Et pourquoi en parler aux médias ?

Je crois que les femmes avaient peur de parler, au départ. Ce n’est pas évident. Je crois que, l’affaire Weinstein et #metoo, les ont poussées, partout dans le monde, à parler. Ceci dit, ce n’est pas le rôle des médias de faire la justice.  Je pense donc que c’est faux de parler de « tribunal médiatique », même s’il est vrai que les tabloïds en Grande-Bretagne ont vraiment attaqué les politiciens, en disant qu’il fallait les virer. Ils ont d’ailleurs titré leur Une en créant l’expression « Pestminster » : « Pest », pour « vermine », « fléau » et « Minster » en référence à Westminster. Ce n’est pas rien ! De mon point de vue, le rôle des journalistes, c’est d’informer, en interviewant la personne, en écrivant un article, tout simplement. Pas d’attaquer un politicien, ou faire du buzz.

Comment décririez-vous le travail des journalistes des tabloïds ?

Ils relaient souvent des « fake news », comme le Daily Mail ou le Daily Express. La campagne du référendum pour le Brexit, par exemple, c’est une campagne basée sur des mensonges. Chaque jour, les Unes de ces médias accusaient les Roumains d’être des voleurs… avec des faits totalement faux ! Non, il ne s’agit pas de journalisme d’investigation. Les vrais journalistes d’investigation sont ceux du Guardian, qui n’ont pas utilisé l’expression « Pestminster » et ont préféré demander à des féministes de venir écrire un papier sur #metoo par exemple. Dans leurs revues de presse, des journalistes de la BBC critiquaient les Unes des tabloïds en pointant du doigt que l’utilisation de l’expression « Pestminster », c’était quelque chose de grave !

Parlons plus spécifiquement des journalistes en tant que tels. On a vu que davantage de journalistes femmes ont parlé des affaires de harcèlement. En France, on a également une répartition genrée de la profession, avec des journalistes hommes plutôt politiques, les femmes plutôt société… Est-ce que vous avez cette répartition de la profession au Royaume-Uni ?

Au départ, il n’y avait que des hommes dans la profession. Maintenant, on commence à avoir une certaine parité, mais elle est encore faible. Mais il n’y a pas spécialement de différenciation entre les rubriques ou les sujets traités. Par exemple, à la BBC, vous avez la journaliste Laura Kuenssberg, réputée pour être une très bonne journaliste politique, souvent invitée. Elle a notamment interviewé Theresa May en Chine. Il y a toujours la parité lors de la présentation des JT. Sur #metoo plus spécifiquement, certains hommes ont écrit des articles d’opinion dans les journaux, mais c’était essentiellement des femmes. Je pense qu’ils leur ont laissé la parole, comme elles étaient les principales concernées. Mais je pense que les hommes ont tout autant leur place pour en parler.

Revenons au dossier de l’Obs. Pensez-vous que, dans ces affaires de harcèlement ou d’agression sexuelle, il faille « tout balancer » ?

Il faut être prudent. Lors d’un dossier sur les « Paradise papers », des journaux comme le Guardian ont fait un excellent travail. Plutôt que tout balancer en même temps, ils ont balancé un peu d’informations tous les jours, pour expliquer un sujet en particulier, informer le lecteur d’abord. C’est le plus important, avoir quelque chose d’équilibrer. Puis, c’est aux lecteurs de décider, c’est à la victime de porter plainte et au juge de définir ce qui s’est vraiment passé.

Cypriane El-Chami

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