« Il faut amener la diversité dans les médias généralistes »

La diversité dans les médias belges francophones recule selon le dernier rapport du CSA sur l’égalité et la diversité. Un problème auquel les étudiants en journalisme de l’ULB (Université Libre de Bruxelles) tentent d’apporter des solutions avec leur projet “Sous silence” diffusé du 18 au 29 avril. Relayées par Bx1, Le Soir et Radio Campus, les productions de ces apprentis journalistes visent à donner la parole à ceux qu’on n’entend pas. De Matonge, quartier des anciens combattants congolais, à Anderlecht, commune de l’importante mais inaudible communauté brésilienne présente à Bruxelles en passant par un reportage au cœur de la gauche radicale, ils tendent leur micro pour que puissent être entendue la voix de ceux qu’ils appellent “les silenciés”. Entretien avec Elodie Métral, étudiante en Master 2 journalisme à l’ULB.

Comment vous est venue cette idée ?

On s’est dit que c’était intéressant de parler de ceux qu’on n’entend pas dans la société, ceux qu’on appelle “les silenciés”. Il y en a dont on ne parle pas. Il y en a qui ne se sentent pas forcément représentés ou compris par les médias et qui se taisent. Il y en a d’autres dont on parle beaucoup sans pour autant leur donner la parole, comme les migrants. Par exemple, on a fait un sujet sur l’importante communauté brésilienne qui réside à Bruxelles et dont la population est de la taille d’une vraie commune, comme les 19 qui composent la ville. On l’appelle la « vingtième commune », et on n’en parle jamais.

Il y a une forme d’autocensure aussi ?

Oui c’est vrai. C’est pourquoi « Sous silence » est aussi un projet participatif. Ceux qui se disent « on ne m’entend pas moi non plus » peuvent nous solliciter et se manifester. Si des gens s’intéressent à notre projet et se sentent peu écoutés, ils ont avec nous un moyen de s’exprimer et de faire entendre leur voix.

Selon toi, cette auto-censure s’expliquerait-elle par le fait que la population des journalistes n’est elle-même pas assez diverse ?

Je n’ai pas fais d’études en sociologie non plus, mais je pense que les journalistes viennent pour la plupart d’une classe sociale assez similaire. Il n’y a pas forcément de diversité dans les médias. Je ne pense pas que la population des journalistes soit représentative de la diversité de l’ensemble de la population. En Belgique, dans les écoles de journalisme, on se rend compte qu’on a tous un peu le même profil. Il n’y a pas forcément de sélection ou de concours comme en France, et donc pas de dispositifs pour générer de la mixité. Et pourtant, il n’y a pas plus de diversité qu’ailleurs. Peut-être que les gens se disent « ce n’est pas fait pour moi ». Mais je pense tout de même que cela évolue. C’est réducteur de dire que les médias ne s’intéressent plus aux minorités. En Belgique on a 24h01, Medor, qui réalisent des longs formats et qui s’intéressent à ce genre de thématiques.

D’ailleurs, vous ne vous définissez pas comme un média communautaire. Pourquoi?

Selon moi, il ne faut pas nécessairement appartenir à une minorité pour en parler. On est en partenariat avec Bx1 (NDLR : une chaîne de télévision locale) et Le Soir, des médias mainstream. Le but, c’est de rendre ces minorités visibles à tout le monde. Peut-être que les thématiques que nous développons sont déjà connues par certaines personnes qui recherchent précisément ce type d’informations dans des médias spécialisés. Il se peut qu’on parle des silenciés, mais dans des médias bien spécifiques. Avec notre projet, on voulait que leurs histoires soient racontées dans des médias plus mainstream. Il faut amener la diversité dans des médias plus généralistes, parce que les personnes qui les consultent ne font pas nécessairement la démarche d’aller vers des médias communautaires.

Les médias mainstream ne s’y intéressent pas encore assez selon toi ?

En général les médias parlent de certaines minorités à l’occasion d’une journée en particulier, comme par exemple la récente journée internationale de l’autisme. On se dit alors que c’est l’occasion d’en parler. Même nos médias partenaires ont eu parfois un peu de mal à relayer nos sujets. Par exemple, des étudiants avaient réalisé un reportage dans le quartier Matonge où réside une importante communauté congolaise, car le Congo est une ancienne colonie belge. Leur travail portait sur les anciens combattants congolais que la Belgique a tendance à oublier. Notre média partenaire voulait repousser la diffusion de ce reportage au 8 mai car il estimait que ça ne collait pas à l’actualité. C’est trouver un faux prétexte pour en parler.

“Sous Silence” : les anciens combattants congolais en quête de reconnaissance

Comment pourrait-on donner une postérité à votre projet ?

Je ne sais pas si ce serait facilement réalisable.  On deviendrait un média sur les minorités et au bout d’un moment, ça serait peut-être difficile de trouver des sujets. Comme je disais avant, le mieux, c’est que ces thématiques soient plus souvent abordées dans les médias traditionnels avec des chroniques régulières par exemple. Et je pense qu’il faudrait aussi tenter de se détacher de l’actualité chaude pour prendre le temps de développer de tels sujets.

Propos recueillis par Victor Fuseau.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.