Loup Espargilière, fondateur et rédacteur en chef de Vert au micro lors de la conférence "Des quotas pour le climat dans les médias : bonne ou mauvaise idée ?". Parmi les autres intervenants : Eva Morel, secrétaire générale de QuotaClimat et Yann Guégan, vice-président du CDJM. ©Angelina Richard

Prendre sa place dans le paysage médiatique, un défi épineux pour les sujets écologiques

Écrit par MALAIZÉ Lucy, SZTUPECKI Eva et CAVALCANTI Isadora

Le traitement médiatique des sujets écologiques a été abordé lors des Assises du journalisme en mars 2025. Pour les différents intervenants, l’urgence de la situation entraîne une nécessité de mieux comprendre les intérêts du public et d’adapter les discours aux formats. 

Conflits d’intérêts, infobésité, éco-anxiété, lassitude des sujets traités, nombre de raisons poussent les français à zapper le programme ou scroller la page lorsque le contenu médiatique porte sur des enjeux environnementaux. Changer les formats ou s’y adapter, former des experts à parler aux médias en fonction du type d’audience ciblée, ou encore instaurer des quotas de sujets environnementaux… Différents acteurs étaient présents lors des Assises du journalisme de Tours 2025 pour débattre des solutions sur la question. Nous les avons rencontrés. 

26% des personnes interrogées en 2024, contre 16% en 2018 déclarent considérer le traitement médiatique des sujets environnementaux trop conséquent, révèle l’ADEME (Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie). Au même moment, l’association  QuotaClimat, porte un projet de loi visant à instaurer des quotas pour contraindre les médias à s’emparer davantage de la question. Un paradoxe révélateur des schismes et clivages qui semblent diviser la population française sur la question environnementale.

Adapter les formats ou s’adapter aux formats ? 

L’engagement de François Pitrel, journaliste environnement à BFMTV, n’est pas toujours facile à porter au sein d’une chaîne d’information continue. “On a du mal à faire venir de bons experts en plateau car ils sont très frustrés par les formats : en 15 secondes, ils n’ont pas le temps d’expliquer des phénomènes qu’ils développent habituellement en plusieurs heures à des publics avertis”. Pourtant, proposer des formats plus longs et moins traditionnels, ne s’est pas toujours avéré efficace. F. Pitrel dévoile que l’émission “2050, ouvrons les yeux” mettant en scène un monde de 2050 parvenu à endiguer la crise climatique, a fait les pires résultats d’audience et a été arrêtée au bout de quelques mois. Les raisons ?  Une émission trop coûteuse, ne suscitant pas assez l’intérêt du public.

Rendre compte de phénomènes complexes sans perdre la majorité du public, c’est le combat mené par l’association Expertises Climat. Celle-ci forme les experts environnementaux à s’exprimer dans les médias en fonction du type de format, du temps de parole accordé et de l’audience ciblée. “On les forme à accepter le jeu du format : 1 minute d’antenne sur le JT d’une grande chaîne d’info continue a 10x plus d’impact que 2h dans un média spécialisé, donc même si c’est frustrant il faut y aller, il y a moins d’intérêt à essayer de convaincre les déjà convaincusexplique Célia Gautier, fondatrice de l’association. Pour la co-directrice, l’enjeu est de comprendre ce qui anime l’audience et d’adapter les discours sans cliver ni moraliser : “Que ce soit la santé, l’avenir des enfants, le pouvoir d’achat, il faut faire un effort de compréhension des véritables intérêts des gens et cibler là-dessus”. 

“1 minute d’antenne sur le JT d’une grande chaîne d’info continue a 10x plus d’impact que 2h dans un média spécialisé, donc même si c’est frustrant il faut y aller, il y a moins d’intérêt à essayer de convaincre les déjà convaincus

Célia Gautier, fondatrice de l’association Expertises climat

Ces efforts déployés pour ne pas perdre un public non spécialisé sont cruciaux pour Loup Espargilière, fondateur et rédacteur en chef de Vert : “Je n’aurais jamais dit ça il y a 5 ans mais aujourd’hui, je pense que les grands médias audiovisuels sont un des remparts à la désinformation qui monte de plus en plus. Je trouve ça génial que BFM s’empare du sujet de manière régulière. C’est clair que ça va pas assez loin dans un contexte d’urgence, mais il est crucial de ne pas renforcer le schisme entre les médias indépendants qui auraient raison et les grands médias mainstream qui seraient de l’audio capitalisme.” Dans le contexte de désinformation ambiant et d’abolition du fact checking par Facebook, ne pas s’enfermer dans une bulle, être clair dans les messages délivrés mais aussi accessible à tous.tes, semblent être les nouveaux défis de traitement médiatique auxquels font face les médias engagés sur la question depuis longtemps. 

“Il est crucial de ne pas renforcer le schisme entre les médias indépendants qui auraient raison et les grands médias mainstream qui seraient de l’audio capitalisme.”

Loup espargilière, fondateur et rédacteur en chef de vert

Mieux cibler les intérêts du public

Que le public se sente plus concerné par les questions environnementales est un enjeu de toujours, plus que jamais actuel. “Ce qui me paraît important c’est d’être capable de toucher des gens qui ne sont pas sensibilisés, qui ne sont pas déjà militants ni éduqués à la question. Et ça, tu ne peux pas le faire si tu considère que tous les gens qui ne pensent pas comme toi sont des cons” rappelle Loup. Ainsi, pour traiter d’un sujet sur la chasse, il a donné la parole aux chasseurs même si cela pouvait paraître paradoxal dans un média environnemental. En plein contexte d’infobésité, laisser le public sans ressource ni piste de solution est un autre écueil qu’il prend en compte : “Il n’y a rien de pire aujourd’hui que de donner des informations cataclysmique sur la crise climatique et de laisser le public comme ça. Faire ça, c’est le meilleur moyen pour que les gens éteignent le poste, arrêtent de s’informer, ou pire, se mettent dans un postulat de rejet et de déni.” 

Même raisonnement pour Nina Fasciaux, directrice des partenariats à SJN (Solutions Journalism Network) pour qui le défi est de faire un pas vers toutes les audiences, et de comprendre leurs besoins. “On parle beaucoup de l’arrêt de TPMP. Évidemment que pour moi c’est une bonne décision. Mais il ne faut pas s’arrêter là, il faut mener en parallèle un travail de compréhension de pourquoi les gens regardent TPMP, qu’est-ce qu’ils y trouvent qu’on ne leur propose par ailleurs ? Qu’est-ce qui leur plaît et les préoccupe ?”. 

“Il faut mener en parallèle un travail de compréhension de pourquoi les gens regardent TPMP, qu’est-ce qu’ils y trouvent qu’on ne leur propose par ailleurs ? Qu’est-ce qui leur plaît et les préoccupe ?”. 

nina fasciaux, directrice des partenariats à sjn

Contenus pédagogiques, inclusion d’intervenants défendant des intérêts différents, journalisme de solution, la priorité semble aujourd’hui, de perdre le moins de gens possible. 

On ne pourra pas convaincre tout le monde. Mais il y a plein d’autres gens à aller chercher. Les médias sur l’écologie arrivent à diversifier leurs sujets et faire le lien avec d’autres problématiques, c’est ce qui leur permet de bien se porter. Globalement, ça va plutôt mieux que moins bien.” conclut Loup. 

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.