Huit ans après #MeToo et trois mois après le procès de l’affaire des viols de Mazan, la question de la responsabilité des journalistes face aux violences sexuelles et sexistes demeure centrale. En cette deuxième journée des Assises du journalisme de Tours s’est tenu un atelier sur le traitement médiatique de ces sujets sensibles. Animé par Emmanuelle Dancourt, présidente de l’association MeTooMédia, et Florent Pommier, membre de l’association, ils reviennent pour Horizons Médiatique sur les enjeux d’une couverture respectueuse et rigoureuse.
Comment percevez-vous l’évolution du rôle des journalistes dans le traitement des violences sexuelles et sexistes (VSS) ces dernières années ?
Florent Pommier : L’évolution est nette dans le traitement journalistique. Depuis 2017, les couvertures de presse sur les VSS sont six fois plus nombreuses. Les journalistes ont repris le flambeau.
Emmanuelle Dancourt : D’autant plus que le rôle des journalistes est primordial. Ils sont un peu le miroir de la société, mais ils ne doivent pas seulement refléter la société, ils doivent aussi la faire avancer. Aujourd’hui, les cinq plus grands sujets traités dans le journalisme sont l’intelligence artificielle, l’écologie, les guerres, les discriminations et les violences sexistes et sexuelles. Les journaux n’ont pas eu le choix de les traiter, ils ont pris une marche forcée. Il y a une responsabilité de bien traiter ce sujet là.
On est moins dans le voyeurisme, on s’éloigne du fait divers mal fagoté.
Florent pommier
Avez-vous remarqué un changement dans la manière dont les médias abordent les sujets liés aux violences sexuelles depuis #MeToo ?
FP : Le traitement s’est professionnalisé. Aujourd’hui, on constate beaucoup moins l’aspect fait divers voyeuriste que peut avoir le sujet des VSS. Et même sur la qualité, on est moins dans le voyeurisme, on s’éloigne du fait divers mal fagoté.
ED : L’étape suivante serait de faire plus de pédagogie sur le droit. Par exemple, quand on entend « non lieu », on pense tout de suite que la personne est blanchie. Peut-être rappeler ce qu’est un classement sans suite dans le droit français, rappeler que la mise en examen intervient quand il y a des indices graves. Rappeler que lorsqu’une personne bénéficie d’un non-lieu, ça ne signifie pas qu’il est innocent. C’est factuel, il ne s’agit pas de prendre parti. Par exemple, Stéphane Plaza n’a pas été condamné pour les violences psychologiques à l’encontre de Paola, mais le juge a reconnu le statut de victime de la plaignante.
Quels défis rencontrez-vous en tant que journaliste lorsque vous devez traiter des sujets sensibles comme les violences sexuelles ?
ED : En tant que journalistes, nous ne les traitons pas. Mais en tant que militants associatifs, on aide certaines victimes à aller vers la médiatisation de certaines affaires, on les prépare à ça, on les met en lien avec les journalistes spécialisés.
Et quels sont, pour eux, les difficultés que ces journalistes rencontrent ?
FP : Principalement de l’auto-censure, et le manque de temps.
ED : En ce moment, nous sommes en plein dedans avec le procès de Stéphane Plaza le 9 janvier, celui de Nicolas Sarkozy qui est encore en cours. Sans oublier celui de Gisèle Pellicot, Joël Le Scouarnec, et celui de Depardieu qui aura lieu en mars. Les journalistes ont un planning de malade mental.
FP : Pour réussir à tout couvrir, les rédactions vont choisir certains journalistes, même s’ils ne sont pas bien formés.
ED : On ne parle jamais de la compression du temps. Puis il y aussi la question des moyens. Si on prend l’affaire de Gisèle Pellicot, ça se déroule à Avignon, tu fais comment ?
FP : Par exemple, France Inter a suivi tout le programme, et ils étaient quatre journalistes à tourner. Et d’ailleurs, l’hôtel Ibis d’Avignon a augmenté les prix pendant cette période.
ED : Il y a en plus des problèmes internes à la rédaction. Il suffit qu’une actualité internationale tombe et le sujet est soit marbré, soit à la poubelle.
Quel constat fait MeTooMedia face à la médiatisation des affaires de VSS ?
ED : Il y a une grande fatigue informationnelle, qui est très généralisée. Par exemple, l’affaire PPDA illustre bien ce fait. Fin octobre 2024, Le Monde a sorti un dossier sur l’affaire Patrick Poivre d’Arvor, qui n’a été repris nulle part. J’ai appelé tous les journaux d’investigation, personne n’en voulait. Il y a une vraie recherche du “scoop”, pour qu’une affaire de VSS sorte il faut que ce soit visé sur quelqu’un de connu et que ce soit exclusif. Tout un tas d’affaires tombe à l’eau à cause de ça.
Que ce soit dans les écoles, ou dans les rédactions, il faut des formations.
Emmanuelle dancourt
Selon vous, quels changements restent-ils à faire dans le cadre du journalisme et des VSS ?
ED : Avant tout, il faut former l’intégralité des journalistes. Que ce soit dans les écoles, ou dans les rédactions, il faut des formations. Il y a beaucoup d’associations qui sont capables d’intervenir. Ce qui est important c’est une formation continue pour ceux qui sont déjà en poste.
FP : Ce qui est nécessaire également c’est de donner des moyens. Du temps et de l’argent pour l’investigation. Également veiller en interne à ce qu’il n’y ait pas de dynamique de pouvoir qui mènent à des viols, agressions. Il faut que les médias se regardent de l’intérieur aussi.
ED : Et ça suit ce que Florent dit, il faudrait un comité éthique au sein de la rédaction. Quelqu’un de qualifié dont c’est le rôle, qu’il soit pour repérer ce genre de situations et potentiellement les signaler.
Écrit par Aminata Ouédraogo, Eva Morvany et Louna Le Guillou
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