Créée en 2018, la Maison des lanceurs d’alerte (MLA) est une association améliorant la protection des lanceurs d’alerte. Elle fournit un soutien psychologique et financier, appuyée par la loi Waserman de 2022. La loi définit le lanceur d’alerte comme un professionnel signalant une transaction ou un fait illicite, ou des risques d’atteinte à l’intérêt général, durant l’exercice de ses fonctions. Rencontre avec Elodie Nace, déléguée générale de la MLA, qui œuvre chaque jour pour accompagner au mieux les victimes et renforcer leur lien avec les journalistes, à l’occasion de la 18e édition des Assises de Journalisme de Tours.
Comment concrètement accompagnez-vous et protégez-vous les lanceurs d’alerte à la MLA ?
À la maison des lanceurs d’alerte, le cœur de notre activité, c’est l’étude et la réception de signalement de personnes qui disent avoir des alertes. Sur notre site internet, on a une plateforme sécurisée et confidentielle, anonymisée où tout le monde peut émettre un signalement. Notre équipe juridique va regarder chaque signalement, étudier les pièces, prendre contact avec les signalants et les signalantes et avoir des entretiens pour comprendre si la personne peut rentrer dans les critères de la loi. Parfois, on a des signalements qui sont sérieux, mais la personne ne peut pas prétendre au statut de lanceur d’alerte, donc on va les rediriger vers d’autres structures, associations ou autorités qui pourraient recevoir leur signalement. L’accompagnement juridique consiste en une note qui explique pourquoi cette personne remplit vraiment tous les critères de la loi, qu’elle a subie des représailles dues à l’alerte. C’est vraiment un argumentaire qui va être utile à la fois à l’avocat et l’avocate si le lanceur ou la lanceuse d’alerte se retrouve devant une juridiction. Pour certains, on va essayer de les mettre en lien avec des journalistes, notamment d’investigation, voire les accompagner et accompagner les journalistes pour s’assurer que le travail fonctionne bien. C’est aussi pour ça qu’on a créé ce guide pour permettre aux deux côtés de mieux se comprendre et donc de mieux collaborer.
Que mettez-vous en place pour accompagner les lanceurs d’alerte sur le plan psychologique ?
Le parcours d’un lanceur ou d’une lanceuse d’alerte est très éprouvant sur le point moral et psychologique. Un lanceur ou une lanceuse d’alerte, au départ, c’est quelqu’un qui va juste relever quelque chose et alerter sa hiérarchie, en se disant que c’est une erreur qui va être réparée. Il ou elle ne s’attend pas forcément à subir tout ce qu’ils et elles vont vivre par la suite. Cela a un impact psychologique qui est énorme. La loi dit que c’est aux autorités externes de proposer des mécanismes de soutien psychologique, ce qui n’est pas du tout mis en place. De notre côté, à la Maison des lanceurs d’alerte, on travaille pour l’instant avec deux psychologues bénévoles qui reçoivent des lanceurs et lanceuses d’alerte, dans des situations souvent de détresse. Malheureusement, ça ne peut pas être des soutiens à long terme. L’année dernière, on a accompagné dix personnes sur les 114 lanceurs d’alerte nous ayant sollicités. Certains demandent un soutien psychologique, mais c’est encore rare. Notre équipe a aussi été formée pour détecter des signes de détresse et pour leur proposer un rendez-vous avec nos psychologues bénévoles. Malgré nos faibles moyens, les lanceurs et lanceuses d’alerte apprécient le fait de parler à quelqu’un, même si c’est peu de temps, c’est un soutien qui est important.
Que faites-vous à la maison des lanceurs d’alerte pour également accompagner les journalistes ?
On essaye de donner des conseils aussi assez simples, mais qui sont peut-être utiles, quand on est journaliste. Tout l’enjeu est effectivement d’établir une relation de confiance. Il arrive que le lanceur ou la lanceuse d’alerte contacte un journaliste et que ce soit la première personne qui réponde. C’est la première personne qui a peut-être confiance en ce qu’il ou elle va dire et donc il y a un enjeu particulier dans cette relation. On a interrogé un journaliste qui nous a dit : “on n’est pas des sauveurs, on n’est pas des psychologues”. Ce n’est pas notre rôle que d’accompagner de A à Z la ou le lanceur d’alerte, mais en même temps, il y a tout de même cette responsabilité. Il faut évaluer les risques que prend le lanceur d’alerte ou la lanceuse d’alerte, mais aussi que prennent les journalistes en menant cette enquête. Il y a l’enjeu de l’anonymat, le journaliste doit respecter l’anonymat jusqu’au bout de l’enquête. Il faut aussi expliquer ce que c’est que le travail de journaliste en tant que journaliste. Les journalistes connaissent leur métier, on a l’impression que tout le monde le connaît, mais quand on a travaillé dans une entreprise, dans des manifestations publiques, dans une université, on ne connaît pas le métier de journaliste. Le fait de rediriger ces lanceurs d’alerte vers des associations, des avocats, les autorités qui permettent d’accompagner plus en profondeur les lanceurs d’alerte, c’est aussi peut être un rôle à avoir en tant que journaliste.
Lina Moreau, Sterenn Tiberghien
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