Intervenantes lors de la conférence sur la protection des lanceurs d'alerte.

Lanceurs d’alerte : leur santé mentale sonne un cri d’alerte

Dénoncer un scandale peut coûter un emploi, une réputation et même la santé mentale. Lors des Assises du journalisme 2025, à Tours, dès ce 12 mars, experts et témoins ont tiré la sonnette d’alarme : le soutien psychologique des lanceurs d’alerte est quasi inexistant. Par un manque d’aides suffisantes, certains subissent isolement, harcèlement et pression.

À l’origine des plus grands articles journalistiques, les lanceurs d’alertes sont intimement liés au monde du journalisme. Le terme, popularisé à la fin du dernier siècle en France, désigne aujourd’hui toute personne ou groupe de personnes partageant, un fait lié à un danger, d’un risque ou d’un scandale, à un journaliste ou un média.

Alors que la loi reconnaît leur rôle, le soutien moral et psychologique reste largement insuffisant. Face à ce vide, des initiatives tentent d’apporter un accompagnement, mais les moyens sont limités surtout face à des risques importants.

Entre devoir citoyen et détresse psychologique

En signalant une affaire exclusive, les lanceurs d’alerte peuvent se retrouver dans des situations dangereuses. Pour l’intérêt général, ils se saisissent de leur devoir citoyen au nom de l’intérêt général. Cependant, un tel pouvoir comprend de grandes responsabilités et peut toucher leur santé mentale. Exposés, ils peuvent rapidement vivre un traumatisme.

Elodie Nace, déléguée Générale de la Maison des Lanceurs d’Alerte (MLA) explique : « C’est un travail éprouvant sur le plan moral et psychologique, ils ne s’attendent pas forcément à subir ce qu’ils vont vivre dans ce domaine » révèle-t-elle.

Dans le cadre de la conférence, Elodie Nace commente le fait que la justice n’est pas assez présente face à la réaction des institutions dont les pratiques sont dénoncées. « Il se trouve qu’il y a des intimidations, de la pression ou du harcèlement » exprime-t-elle. Entre licenciement, honte et moquerie des collaborateurs, la journaliste continue en précisant que dans le cadre professionnel, les retours peuvent également ne pas être ceux escomptés. Ici, elle parle d’épreuves traumatisantes, face à une volonté de faire son devoir citoyen de dénoncer des abus. Il n’existe par ailleurs aucune obligation de partager à son employeur un problème pouvant être au centre d’un lancement d’alerte. D’après les participants de la conférence, il est même préférable de ne pas mettre au courant sa hiérarchie pour éviter ces problèmes.

Des mesures insuffisantes, l’expérience de la MLA

Publiée en mars 2022, la loi Waserman, consacrée à la protection des lanceurs d’alertes, propose de fournir des aides afin d’améliorer le suivi lié à la santé mentale des lanceurs d’alertes. Le document avance « assurer la mise en place de mesures de soutien psychologique à destination des personnes ayant adressé un signalement », cependant, cela est plus compliqué dans les faits. Sur cette question, Elodie Nace explique : « Les besoins de soutien, on les reçoit à tout moment. Mais souvent trop tard. Tout l’enjeu serait de nous en saisir le plus tôt possible. » La première étape serait donc de renforcer la sensibilisation autour des questions de santé mentale dans ces contextes. Sur 114 individus suivis par la MLA, seulement 10 ont suivi un accompagnement psychologique en 2024, témoignant du manque d’accès à l’information sur ces sujets. Houria Aouimer, ex directrice générale chargée du régime de garantie des salaires (Unédic-HGS) et à l’origine d’un lancement d’alerte sur son entreprise, est l’une des rares bénéficiaires du soutien d’un psychologue à la Maison des Lanceurs d’Alerte.

Elle confie : « Si je n’étais pas accompagnée, je ne me tiendrais pas devant vous aujourd’hui. »

Mais le manque de personnel et de moyen financier se fait aussi ressentir, la Maison des Lanceurs d’Alertes n’ayant, par exemple, que deux psychologues bénévoles au sein de son équipe. Sa déléguée générale ajoute : « Ils sont là pour prendre en charge les lanceurs d’alerte en situation de détresse. Mais cette prise en charge est de courte durée. » L’objectif pour l’organisme, aujourd’hui, est de trouver qui doit prendre en charge ce sujet. Dans ce sens, une recherche de partenariat est en place pour financer une nouvelle cellule de suivi psychologique. Bien que les moyens soient faibles, « le fait d’avoir quelqu’un à qui parler, même si c’est peu de temps, peut aider les lanceurs d’alerte en détresse » est déjà primordial pour Elodie Nace.

Les lanceurs d’alerte jouent un rôle crucial en exposant des vérités que d’autres cherchent à cacher. Mais le prix à payer est élevé, et sans soutien psychologique adapté, beaucoup s’épuisent ou renoncent.

« Les alertes sont des signes de dysfonctionnement de l’État, de la démocratie. Plus il y a de dysfonctionnement, plus il y a d’alertes », conclut Daniel Ibanez, cofondateur des Rencontres Annuelles des Lanceurs d’Alerte.

Un article écrit par. Emma P. , Romain C. et  Sidinyidé O.

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.