Justine Reix est une journaliste, autrice et vidéaste spécialisée dans la création de contenu sur YouTube. Elle a notamment écrit pour des créateurs comme Squeezie et Charles Villa qui comptabilisent à eux deux près de 20 millions d’abonnés. Depuis un mois, elle a lancé sa chaîne YouTube en totale indépendance. À travers cette interview, la journaliste raconte comment le storytelling transforme l’information, particulièrement dans les nouveaux formats tels que les vidéos autour du fait divers.
Votre approche repose sur un mélange de journalisme et de narration. Comment trouvez-vous l’équilibre entre les deux ?
Généralement, je trouve mon sujet qui, lui, est journalistique. Ensuite, comme n’importe quelle journaliste, je vais me renseigner sur le sujet, essayer d’avoir le plus de documentation possible, d’avoir des chiffres. À partir de ce moment-là, je connais très bien le sujet. Je vais faire les interviews. Et après, je vais écrire le sujet en tant que tel : les plateaux, la voix-off. Puis, je vais essayer de faire en sorte que le sujet soit intéressant et prenant. Donc, en fait, ça fait aussi partie du journalisme d’avoir tout un travail de narration parce que parfois, on peut avoir le meilleur sujet de la planète entre les mains, mais si on ne sait pas le vendre, si on ne sait pas bien le raconter, les gens n’iront pas lire l’article ou regarder la vidéo.
« Parfois, on peut avoir le meilleur sujet de la planète entre les mains, mais si on ne sait pas le vendre, si on ne sait pas bien le raconter, les gens n’iront pas lire l’article ou regarder la vidéo. »
De quelle manière le storytelling a-t-il évolué avec les nouveaux formats numériques, les réseaux sociaux et les plateformes de streaming ?
Le storytelling, avant, était surtout réservé aux travaux d’écriture comme les livres. Et maintenant, il y a tout ce qui est vidéos. Donc, pour le coup, on va avoir un storytelling qui est beaucoup plus engageant. On va peut-être demander aux gens de s’exprimer sur le sujet, de commenter. De réagir. On va essayer aussi d’avoir un côté immersif où on va essayer de les inclure, comme s’ils étaient dans cette histoire-là. Et puis, aussi, il y a le fait que désormais, on utilise beaucoup le « je », la première personne. On fait partie du sujet. Il y a notre visage, en fait, notre tête, contrairement à un livre, dorénavant, c’est plus personnel.
Comment allier divertissement et rigueur journalistique ?
Mon objectif à moi, c’est de ne pas faire quelque chose de divertissant, mais plutôt quelque chose d’intéressant et d’informatif. Par exemple, moi, sur ma chaîne, je ne fais pas de blagues. Ce n’est pas l’objectif. Je peux avoir un ton un petit peu plus libéré que ce que j’aurais dit si j’étais à la télévision, mais je ne fais pas du divertissement. Et si on commence à trop partir sur le divertissement, on perd le côté informatif et aussi le sérieux qu’on a en termes de journaliste. Est-ce que je me positionne en tant que youtubeuse et je fais du divertissement, ou est-ce que je me positionne comme journaliste avant tout ? C’est un choix.

Comment voyez-vous l’avenir du storytelling dans un monde dans lequel l’IA et les algorithmes influencent de plus en plus la consommation d’informations ?
Pour moi, un bon storytelling ne sera jamais fait par de l’IA. Donc, en fait, on est menacé sans être menacé. Menacés parce que les créateurs de contenus sur des formats peut-être un peu plus courts, type TikTok, etc., on commence à voir que c’est toujours la même structure. En tout cas, moi, j’arrive à repérer quand je suis sur TikTok, quand un créateur de contenu écrit avec l’IA ou pas. Ça se voit, ça se sent, c’est toujours le même style d’écriture. Donc, ça peut fonctionner en termes de vue, mais, au bout d’un moment, si tout le monde s’exprime de la même manière, ça va être inintéressant. Et justement, les gens le sentent. Ils ne savent pas forcément que c’est de l’IA, mais en fait, quand ils tombent sur un créateur de contenu qui a écrit son sujet lui-même et qui a fait un vrai travail sur le storytelling, ils vont sentir qu’il y a une certaine qualité.
Quelles sont les principales différences entre le traitement des faits divers par les journalistes sur YouTube et dans les médias traditionnels ?
Dans les médias traditionnels, on va avoir cette rapidité de traitement qu’on a forcément un petit peu moins sur YouTube. À la télévision ou dans les médias classiques, quand il y a un fait divers qui se passe, il va falloir en parler tout de suite. Il va aussi falloir avoir quelqu’un en interview le plus rapidement possible. Parfois, on peut avoir cette tendance à se presser, avec le risque de faire des erreurs. En tant que journaliste, on est dans l’urgence et on oublie qu’il y a des êtres humains qui sont dans cette histoire et qui ont vécu un drame. Je dirais qu’il y a aussi ça. Après, évidemment, il y a aussi une différence de durée dans le sens où sur YouTube, on va prendre le temps de raconter une histoire, mais finalement, on va le faire pendant une demi-heure et puis c’est fini. Au contraire, les journalistes peuvent aussi traiter un fait divers durant un an et demi. Ça, sur YouTube, c’est quelque chose qu’on voit moins, qu’on pourrait voir assurément à l’avenir, mais qui pour le coup est plus réservé aux journalistes parce que ça demande des moyens.
Clément Collot, Tetiana Demydenko et Prodige Mabanza
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