Lorsque Ariane Lavrilleux entre dans son domicile à Marseille le matin du 19 septembre 2023, elle est loin d’imaginer qu’elle sera placée en garde à vue par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Son tort ? Avoir révélé, avec le média Disclose, comment l’État français aurait fourni des renseignements militaires à l’Égypte utilisés pour des frappes ciblant des civils. Deux ans plus tard, le 12 mars 2025, alors que les Assises du journalisme de Tours interrogent sur la protection du secret des sources et des journalistes en France, elle revient sur son combat pour la liberté de la presse. Nous l’avons interrogée.
Comment votre manière de travailler et de mener des enquêtes a évolué à la suite de cette affaire ?
Maintenant chez Disclose on fait très attention parce qu’on sait qu’on est dans le viseur des services de renseignements français. On fait en sorte d’évaluer au mieux les risques pour chaque enquête. Par exemple, on a mis en place tout un procédé pour sécuriser les échanges et préserver l’anonymat des sources. Malheureusement, le cadre légal français reste peu protecteur et peut être utilisé pour poursuivre de manière abusive les lanceur.es.s d’alerte.
Est-ce que cette affaire a compliqué le processus d’enquête ou freiné les lanceur.se.s d’alerte ?
Disclose a été contacté par de nombreux et nombreuses lanceur.se.s d’alerte depuis ma garde à vue car justement cela a mis en lumière ce média mais aussi la manière dont on était capable de percer des secrets d’Etat. Cela a donné l’envie à d’autres de parler plutôt que de les freiner. Sans lanceur.se.s d’alerte, il n’y aurait pas d’information. Parfois la presse est aussi la dernière solution pour alerter et divulguer des informations. Il y a beaucoup de cas où les enquêtes internes ne sont pas efficaces et où ces lanceur.se.s d’alerte ont été licencié.e.s. Ils et elles utilisent donc la presse pour que ça bouge.

Peut-on toujours enquêter aujourd’hui en France ?
Bien sûr, on peut enquêter. Je dirais même qu’on doit enquêter et qu’on sera de plus en plus nombreux et nombreuses à le faire. En tant que journaliste, on a la responsabilité de faire émerger des sujets importants. C’est important pour moi de servir de porte-voix pour les journalistes qui vivent la même chose parce que je ne suis qu’un cas parmi tant d’autres. Je me rends compte que la société civile est aussi très touchée et concernée par ces questions-là, c’est ce qui me pousse à continuer. Je l’ai remarqué au moment de l’affaire. Quand j’étais en garde-à-vue ou quand j’ai appris que la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (ndlr : la DGSI est un service de renseignement français qui lutte contre le terrorisme, la cyberdéfense et le contre-espionnage) m’espionnait, j’ai été soutenue par plusieurs organisations, par des étudiant.e.s et aussi par des journalistes.
« On n’est pas des sauveur.ses, mais on a d’immenses responsabilités en tant que journalistes. »
Quelles seraient les solutions selon vous pour préserver le secret des sources et la sécurité des journalistes ?
On n’est pas des sauveur.ses, mais on a d’immenses responsabilités en tant que journalistes. On a des informations dont la révélation pourrait bouleverser la vie de nos sources. La prise en charge de l’évaluation des risques pour les citoyen.e.s et le capital de l’article est primordiale. On pose donc tout un tas de questions à nos sources notamment sur les outils qu’elles ont utilisés pour lancer l’alerte. On a également un numéro Signal et une messagerie chiffrée sur notre site. C’est à dire que les sources sont totalement anonymes donc s’il y a un procès, même les autorités n’ont aucun moyen d’identifier d’où proviennent les alertes.
Pour aller plus loin : Les journalistes et leurs sources, une relation compliquée – Horizons Médiatiques
On va aussi se protéger, nous, les journalistes. Est-ce qu’il y a un risque de perquisition ? D’enquête interne ? On cherche donc à réformer la Loi de 2010 sur le secret des sources. En collaboration avec 110 associations, on lutte pour que l’atteinte illégitime au secret des sources par les autorités soit considérée comme un délit et donc punie par la loi. Dans le cadre de mon affaire, le droit à démontré un certain nombre de failles, mais j’admets qu’il peut-être très utile pour convaincre nos sources à se livrer.
Céline Abi Aad, Louison Lecourt, Lassina Yao
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