Assises de Tours, 11 mars 2025. Loïc Hervouet, journaliste ; Philippe Boissonnat, rédacteur en chef de Ouest-France ; Sébastien Georges, codirecteur des rédactions du groupe EBRA ; Pierre Ganz, secrétaire du Conseil de déontologie journalistique et de médiation.

Loïc Hervouet, journaliste ; Philippe Boissonnat, rédacteur en chef de Ouest-France ; Sébastien Georges, codirecteur des rédactions du groupe EBRA ; Pierre Ganz, secrétaire du Conseil de déontologie journalistique et de médiation. Assises de Tours, 11 mars 2025.

Questionner le regard intrusif : le voyeurisme au sein des médias audiovisuels

Écrit par SZTUPECKI Eva, MALAIZÉ Lucy et CAVALCANTI Isadora

Le problème du voyeurisme dans le fait divers prend de la place au sein des médias audiovisuels. Il fait débat au sein des grandes rédactions et les pousse à retravailler leur charte. Analyse. 

Prenez un exemple : il y a un accident de la route, vous photographiez la voiture qui est accidentée parce que vous montrez que la voiture a été cassée. Vous vous approchez et vous photographiez le corps de la personne qui est affalée sur son volant. Cet exemple a été cité par Pierre Ganz, membre du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) lors des Assises du journalisme à Tours le 11 mars 2025, pour questionner la limite de ce qui doit être montré. “ La seconde photo n’a pas de valeur informative et devient du voyeurisme. Certaines fois, la présentation d’éléments n’apporte rien de plus dans la manière de présenter des faits mais au contraire insiste sur des aspects qui mettent en cause la vénalité des personnes.” Explique Pierre Ganz. 

Le terme de voyeurisme ici prend tout son sens. Si son étymologie provient bien du mot  “voyeur” soit “celui qui regarde”, la question de la limite entre ce qui est vu et ce qui devient du voyeurisme est une notion clivante. Elle change en fonction des règles que se donnent les médias. Cette notion est traitée à travers le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) et prise en compte dans les médias par la création de chartes qui permettent d’uniformiser chaque média sur la question. Par exemple, France Ouest, EBRA et La Nouvelle République ont révisé ces dernières années leurs chartes. P. Boissonat, journaliste à France Ouest nous confie l’avoir modifié pour la mettre à jour aux vues de la présence des nouveaux outils numériques. 

“Un journaliste mort est un mauvais journaliste” 

Ces chartes n’ont pas autorité et la loi ne punit pas les agissements qui en seraient non conformes. Même si Pierre Ganz soutient l’importance de la déontologie journalistique, il souligne également qu’il ne faut pas rentrer dans l’interdiction. “Regardez aux États-Unis où il y a des listes de mots qu’on a pas le droit d’utiliser.” Les règles et chartes sont présentes pour guider le journaliste dans son travail. Cependant, malgré ces chartes et ces règles déontologiques, le journaliste va être celui qui peut se mettre en danger pour avoir une information proche de son sujet. Qui plus est, il est, dans certaines circonstances, le seul témoin d’événements. “Je veux bien qu’un journaliste aille en face du russe qui est en train de lui tirer dessus avec un fusil pour montrer le truc. Mais s’il prend la balle dans la tête c’est qu’il a mal fait son boulot. Parce que son boulot c’est de ramener l’information et non de prendre une balle dans la tête”, déclare-t-il.    

Un autre cas réel cité par Sébastian Georges, codirecteur des rédactions du groupe EBRA, est celui d’un journaliste rentré dans une maison incendiée pour prendre des photos, ramené à l’hôpital 1h plus tard, intoxiqué au monoxyde de carbone à cause de la fumée. “Ça n’a servi à rien d’y aller. Il n’a pas obtenu plus d’info, à la limite il aurait eu une photo de flamme différente, sauf que la flamme une heure et demi après, a dépassé de la maison. Et c’était plus spectaculaire que quand il était dedans”, affirme-t-il. Pour lui, ce qui pousse le journaliste à montrer quelque chose de toujours plus spectaculaire, de toujours plus frappant, le pousse aussi à se mettre en danger, ainsi qu’à mettre en danger les autres. 

Les enjeux légaux

Le “voyeurisme” cité dans ce texte est différent du terme présent dans le Code Pénal français prévu dans l’article 226-3-1. Celui-ci répond notamment aux questions d’ordre sexuel. En ce qui concerne le terme utilisé dans le domaine journalistique, il est encadré par deux textes de loi : celui du droit à l’oubli numérique (loi du 20 juin 2018), prévu par l’article 17 du RGPD et la Loi de 1881 sur la liberté du droit de la presse. Le premier texte défend, de manière récente, les intérêts des personnes touchées par le contenu journalistique numérique. Le second protège ancestralement la liberté d’expression et de publication des journalistes. Deux pôles qui, fréquemment, entrent en tension. 

Sébastian Georges révèle que L’EBRA reçoit plus de 5 000 demandes de retrait de contenu par an, sur le fondement du droit à l’oubli  : “50% des cas sont alors retirés ou anonymisés”, explique t-il. Il dévoile que parmi les plaignants, se mêlent des politiques qui essayent de profiter de ce droit pour effacer leur passé, mais aussi des citoyens subissant les conséquences de leurs erreurs de jeunesse, comme la difficulté à trouver un emploi, des années plus tard. Le droit à l’oubli s’applique au domaine de l’audiovisuel et aux contenus numériques. S’agissant de la presse écrite papier, les écrits resteront.

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.