La crise économique et sociale qui frappe le Liban depuis 2019 a bouleversé la vie des étudiants en médecine. Entre ceux qui choisissent de rester dans un système médical à bout de souffle et ceux qui partent en quête d’un avenir meilleur, cette jeunesse incarne les espoirs et les contradictions d’un pays en plein tumulte.
Depuis 2019, la crise économique qui secoue le Liban n’a pas épargné le secteur de la santé. Victimes de pénuries de carburant et de médicaments, de nombreux hôpitaux marchent au ralenti. Les coupures d’électricité obligent les établissements à réduire leurs services, certains allant jusqu’à fermer des unités entières. Les prix des traitements médicaux ont quadruplé, rendant les soins inaccessibles à 70 % de la population alerte Amnesty International.
Le Liban, autrefois surnommé la « Suisse du Moyen-Orient », fait face à une crise sans précédent. La livre libanaise s’est effondrée, perdant près de 98 % de sa valeur face au dollar. Cette dévaluation s’accompagne d’une inflation galopante, d’une augmentation drastique des prix des biens essentiels et d’un effondrement des services publics.
Dans ce contexte, les étudiants en médecine subissent de plein fouet les conséquences de cette crise. Ils sont désormais face à un choix: s’accrocher à un avenir incertain au Liban ou chercher des perspectives plus prometteuses à l’étranger.
Rester pour défendre ses racines
Nassar El Assaad, étudiant en 7ᵉ année de médecine à l’Université Saint-Joseph (USJ) de Beyrouth, a fait le choix de rester. « Rien ne m’empêchait de partir : j’ai les moyens financiers, je parle couramment plusieurs langues. Mais je n’étais pas prêt à sortir de ma zone de confort », explique-t-il, « je me lève parfois très tôt pour être sûr d’avoir de l’essence à la station pour aller en cours. J’étudie avec des batteries rechargeables que je branche dès que le courant revient ». Pour Nassar, rester au Liban, c’est aussi une question de fidélité à ses racines, à sa famille, et à un pays auquel il reste attaché.
Cependant, le regard tourné vers l’extérieur, il planifie les années à venir. Inspiré par le fameux American Dream, Nassar prépare son dossier pour les États-Unis. Son objectif : obtenir la certification American Board, reconnue à l’international, qui lui permettrait de pratiquer la médecine partout dans le monde. « En fin de compte, je ne veux pas avoir de regrets. Si ça ne fonctionne pas, je pourrai toujours revenir au Liban », confie-t-il.
« L’explosion du port de Beyrouth en 2020 a été un déclic »
À l’inverse, Romy Fares a décidé de partir. En 2021, elle quitte le Liban pour intégrer l’Université Libre de Bruxelles (ULB) en 3e année. Pour elle, rester n’était tout simplement plus une option viable. « L’explosion du port de Beyrouth en 2020 a été un déclic » affirme-t-elle, « je ne pouvais plus rester ». La crise économique avait déjà ébranlé ses certitudes. L’effondrement de la livre libanaise, combiné à la pandémie de COVID-19, avait transformé son quotidien. En Belgique, elle a trouvé un cadre plus stable et des ressources pour développer son apprentissage. Elle souligne : « mon éducation au Liban était de qualité, mais ici, il y a plus de moyens, plus de matériel, et une diversité clinique plus importante ».
Toutefois, l’exil n’est pas un chemin facile, « c’est très compliqué de changer de vie. », confie-t-elle, « il faut quitter sa zone de confort, reconstruire ses repères, se créer une nouvelle famille loin de la sienne ». Malgré ces défis, Romy ne regrette pas son choix, « depuis que je suis ici, j’ai repris confiance en mes capacités. Je me vois arriver plus loin ». Si elle envisage de rester en Belgique pour y bâtir sa carrière, Romy garde l’espoir de revenir un jour, émue, elle conclut : « je reviendrai au Liban quand les conditions seront assez stables pour fonder une famille ».
Un avenir incertain pour le Liban
Le Liban est confronté à une hémorragie de ses jeunes talents. Le taux de chômage des jeunes, qui a explosé pour atteindre près de 48 % en 2022, pousse de nombreux diplômés à quitter le pays. Les médecins, ingénieurs, et autres professions hautement qualifiées partent chercher ailleurs la stabilité qu’ils ne trouvent plus chez eux. Cette fuite des cerveaux met en péril le futur du Liban. Le départ massif des jeunes médecins aggrave la crise d’un système de santé déjà affaibli. Les hôpitaux peinent à recruter, et les centres de soins, souvent gérés par des ONG, ne suffisent pas à combler les lacunes. Pour les étudiants qui restent, comme Nassar, il s’agit de maintenir un lien vital avec un pays en crise, tout en cherchant des opportunités pour progresser. A l’instar de Romy, certains s’éloignent temporairement pour se reconstruire, mais gardent dans leur cœur l’espoir d’un Liban où ils pourraient un jour revenir.
Céline ABI AAD
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