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« Je m’étais fixé 10 ans de carrière en Suisse » : pour Michael Pessono, infirmier frontalier, le statut est de moins en moins avantageux

En 2024, la France partage 210 000 frontaliers avec la Suisse. Malgré un paysage de carte postale et un avantage économique certain, la Suisse compte nombre d’inconvénients, au point de décourager ses frontaliers comme Michael Pessono, infirmier.

Enfant de la Drôme et diplômé d’Avignon, Michael Pessono ne se destinait pas à une vie de frontalier. La rencontre avec la Suisse se fait en plusieurs temps : jeune amateur de handball, il affronte régulièrement une équipe adverse à la frontière. Il est séduit par le cadre de vie helvète, ses coulées de verdure et ses montagnes flamboyantes. Porté par l’amour du sport, Michael passe une première année d’étude en STAPS. Fauché en pleine course par une blessure  à la main, il poursuit un diplôme d’infirmier à Avignon. Les avantages du secteur médical suisse le poussent à s’installer au pays de la croix blanche. Une de ses amies se vantait des bienfaits de ce domaine, y travaillant depuis 2 ans. 

Grand, brun et barbu, Michael est depuis 9 ans avec sa compagne, Zoé. Son souhait de travailler en Suisse était source de discussions et réflexions au sein de son couple. La France reste leur pays de résidence afin d’éviter les aller-retour à sa campagne. Cela fait maintenant 3 ans qu’ils forment une famille, avec leur fils, Roméo. 8 ans plus tard, à 31 ans, il se questionne. Il sait pertinemment que cette situation n’est pas celle qui souhaite pour le reste de sa vie : « Je m’étais fixé 10 ans de carrière en Suisse.» 

L’envers de la finance

Pour Michael, financièrement, la vie de frontalier n’est pas si avantageuse en apparence. S’il empoche quelque 5000 CHF par mois (quasiment équivalent à l’euro selon le taux de change), de nombreux frais allègent son portefeuille. D’abord, le temps de trajet à rallonge. Selon l’INSEE, les frontaliers avalent quelque 43 km de route en moyenne pour se rendre sur leur lieu de travail, soit 30% de plus qu’un français moyen. Résidant à 50 km de son travail, le temps de trajet de Michael peut s’avérer long : « je mets environ 1h30 à l’aller avec les bouchons de la frontière. » Ensuite, les impôts français prennent la relève : « C’est un salaire et demi par an donc entre 350-400€ par mois. » Ça ne se finit pas ici. Michael Pessono n’est pas un employé français : « je dois payer 200 euros tous les mois ma cotisation à la caisse maladie ». Une facture obligatoire pour avoir droit aux soins médicaux minimum en France.

« Tu ne peux pas tout mélanger. Je ne pourrais pas habiter dans la même ville. »

Le père de famille réfléchit à sa situation. Il travaille au sein d’un foyer social éducatif, dans le service des jeunes de 17 à 25 ans en réinsertion, dans la rue ou ceux qui sont atteints de problèmes psychologiques. Ses aller-retour quotidiens lui permettent de faire une pause et de séparer son travail de sa vie personnelle : « Tu ne peux pas tout mélanger. Je ne pourrais pas habiter dans la même ville. » Aucune de ses journées ne se ressemblent : « c’est un métier exaltant, car un jour cela peut être le chaos et le lendemain tout peut bien se passer. »

Ballotté entre la Suisse et la France, cette situation ne peut plus durer. La date d’échéance approche à grands pas, les 10 ans sont presque atteints. Un rien ému, il affirme vouloir poursuivre sa carrière dans le domaine médical même si un retour en France s’impose : « c’est un métier dont les gens ont besoin. »

Un secteur passionnant, qui se dégrade

Une main dans sa barbe, un air réfléchi, l’infirmier s’attarde sur les conditions dans son secteur, le para médical. S’il note qu’elles ont tendance à se dégrader, elles restent meilleures qu’en hexagone. Le milieu médical en Suisse possède plus de moyens, plus de personnels, qui sont mieux encadrés et suivis. Les matériels et locaux sont davantage entretenus : « Si le matin on déclare qu’un outil est cassé, dans l’après-midi il sera réparé, c’est un véritable confort ». Les locaux sont plus accueillants et la paye est plus importante. Eurostat place la Suisse au côté de l’Islande dans une étude en 2023. Ces pays sont déclarés comme ceux où les salaires sont les plus élevés dans l’Union européenne et dans l’Espace Economique Européen (EEE).

La région française, où il réside, est connue pour être un lieu de vie des frontaliers. Devenu un avantage pour ces derniers, le coût de la vie y est plus cher. Touché par le syndrome de la ville dortoir, les alentours d’Evian-les-Bains ne sont pas développés. Les infrastructures sont en péril, les écoles et services éducatifs se font rares et les déserts médicaux s’accumulent. La situation des transfrontaliers se dégrade décourageant ainsi les habitants à continuer dans cette voie.

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.