Près du magasin d’argentique « Moyen Format » au centre de la capitale française, Édouard Elias, photographe dévoué et récompensé, témoigne de la beauté du monde qu’il retrouve au travers des atrocités qui l’accompagnent. 33 ans et toujours insatisfait de son travail, il déménage à Paris en 2024 pour exercer son métier plus intensément. Un emploi qu’il revendique être comme sa vie. Retour sur le quotidien d’un photographe de guerre.
Perfectionniste et maître de l’art dans la capture du moment, Édouard Elias mène une vie sans regret à portée obsessionnelle. Photographe avant tout, il fait de son métier son identité. Né à Nîmes en 1991, il perd sa mère à ses 3 ans et son père quelques années plus tard. Il reçoit une éducation de ses grands-parents. La photographie lui vient naturellement. L’envie de capturer chaque moment à l’aide d’un simple clic pour ne pas oublier, le guide : « tu commences à photographier pour la mémoire ». À 21 ans, en école de photographie, Edouard quitte tout. Il part pour la Syrie avec la modique somme de 1000€ et repartira avec des centaines de pellicules, et un vol direct vers le métier de ses rêves. À son retour, il vend ses clichés à divers journaux et n’a pas cessé depuis.
Témoigner et se protéger : un équilibre
Le guide essentiel du photographe tient à deux mots-clés : l’adaptation et la préparation. S’adapter au milieu social dans lequel on s’acclimate est indispensable. Pour se protéger, il doit se conditionner avant de partir, savoir où aller et ce qu’il risque de voir : « Il faut être conscient qu’on intègre l’intimité de personnes en train de souffrir ». Son travail tourne autour d’une réalité figée lors de conflits. Son reportage au Soudan sur le Darfour en 2022 : Don’t Cry This Our Land, reste à ses yeux, le plus marquant.
Bien que le côté noble de ce métier soit reconnu, son risque l’est tout autant. Édouard en est témoin et victime. En juin 2013, il a été kidnappé et détenu pendant dix mois en Syrie, lors de son deuxième voyage dans ce pays. À ses côtés se trouve François Didier, journaliste pour Europe 1. Cette détention, il ne la vit ni comme une force ni comme une faiblesse, s’il y a survécu, c’est par son enfance. Devenu orphelin, son éducation et les conditions dans lesquelles il a grandi l’ont protégé. En revenant, il enchaîne les reportages photos. Il ne souhaite pas être défini par ce qu’il a subi, mais par son travail. Sans abandonner les terrains dangereux, il évite néanmoins les pays à risque d’enlèvement comme la Syrie et l’Irak.
Le dévouement d’un photographe à son travail
Dépasser le surhumain dans le but de travailler plus, jusqu’à la fin de ses jours, est pour Édouard son plus grand souhait. Sa passion aura raison de son couple. Il quitte la Bretagne en 2024 pour rejoindre Paris et affirme avec légèreté : « je suis libre ». Les allers-retours entre le pays breton et la capitale n’étaient qu’une perte de temps, d’argent et d’énergie.
« Ceux qui ont foutu leur vie en l’air »
Il n’est pas le seul à mener cette vie. Au festival de Bayeux, véritable réunion des correspondants de guerre, il retrouve ses confrères. Ses semblables et lui-même ont un rythme de vie très différent des autres. Habitués de cette vie atypique, ils font partie de « ceux qui ont foutu leur vie en l’air ». Loin d’être pessimiste, Édouard est simplement réaliste. C’est un métier qu’il exerce sans compter. Cette passion ouvre une vision sur les réalités de la vie plus complète et concrète. Les atrocités sont révélées devant ses yeux et il a comme devoir d’en témoigner. Pour Édouard, cette pratique de la photographie tourne à l’idée fixe : « c’est ma passion, ma vie, mon obsession ».
Selon lui, ce métier est un mode de vie. Les études ne feront pas la différence, c’est l’excellence. D’un ton ferme et catégorique, il le définit : « Ce métier, c’est de la sociologie ». Il faut respecter toutes personnes, peu importe leur milieu social. En parallèle de son travail de l’image à l’étranger, la réalité du métier le rattrape. Être photographe reste précaire, d’autant plus lorsque l’on est freelance. Édouard réalise des photographies corporate pour compléter son salaire mais aussi pour préparer ses futurs reportages : “ça devient presque un hobby, je mets de l’argent de côté pour partir”. Sur place, rien n’a d’égal. La beauté du métier, il la ressent en tissant des liens. « C’est un métier où tu dois t’adapter, où les gens te voient en eux ». Si vous avez un fixeur, apprenez à le connaître, allez manger chez lui, rencontrez sa famille : conseil d’un photographe.
Un seul but reste : perfectionner ses photos. D’une voix humble, il dit : « ma place est dans un musée ». Ses photos ne vont pas changer le monde, simplement le représenter au travers de visages rencontrés tout autour du globe. Il se sent reconnaissant, car son but, il l’a touché. Exposé au Musée des Armées trois fois, il continue d’avancer et d’évoluer dans cette vie sans regret. Cette année, accompagné de François Didier, il crée un collectif pour reporter de guerre nommé Frog Of War dans le but de toujours aller plus loin.
Le quotidien d’Édouard reste un défi dont l’outil est la photographie.
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