Au-delà de ses frontières, la Syrie se trouve au cœur d’une bataille pour l’eau, une ressource essentielle à la survie de millions de personnes. Entre changement climatique, hydropolitique régionale et conflits armés, la question de l’accès à l’eau révèle les tensions géopolitiques qui traversent la région.
Au Moyen-Orient, l’eau est bien plus qu’une ressource vitale : elle devient une arme politique et un levier diplomatique. Le fleuve Euphrate, qui traverse la Turquie, la Syrie et l’Irak, illustre cette dynamique. Contrôlé en amont par la Turquie, il est une source majeure de tensions.
Selon Tony Rublon, géographe et président d’Amitiés Kurdes de Bretagne, la mainmise sur les bassins versants permet à l’État Turc d’exercer une pression sur ses voisins. « Bloquer l’arrivée de l’eau en Syrie contraint également l’Irak, car l’Euphrate s’y jette ensuite. » explique-t-il, « cette rétention d’eau peut être assimilée à l’utilisation d’une arme ».
Ce contrôle devient un outil de domination dans une région où la stabilité dépend largement de l’accès à cette ressource. Le phénomène s’est intensifié ces dernières années. « Depuis 2016, des frappes de drones et des attaques ciblées sur les infrastructures hydrauliques aggravent une situation déjà critique » alerte Roberta Rodriquez, chargée de programmes pour l’ONG Un Ponte Per.
Les causes multiples de la crise hydrique
Le changement climatique a amplifié la diminution des ressources en eau. La Syrie, comme le reste du Moyen-Orient, subit une baisse continue des précipitations, accentuant la désertification des terres agricoles. Dans ce contexte, la construction de barrages en Turquie (Projet d’Anatolie du Sud-Est) a des conséquences directes sur les pays voisins. Le pays contrôle une grande partie des flux de l’Euphrate et du Tigre. Entre 2018 et 2020, le débit de l’Euphrate en Syrie a chuté de près de 50 %, selon les données des Nations unies. Ce contrôle exacerbe les tensions géopolitiques dans la région, tout en aggravant les crises humanitaires locales. La pollution croissante des cours d’eau rend la situation encore plus complexe. En Syrie, les nappes phréatiques sont souvent contaminées, notamment à cause des fuites provenant des infrastructures pétrolières endommagées par le conflit.
Des conséquences humaines et économiques dramatiques
L’eau manque en Syrie et affecte les populations du Nord-Est du pays. 1,4 millions de personnes vivent dans des camps de déplacés où l’accès à l’eau potable est insuffisant. D’après l’UNICEF, la consommation moyenne dans ces camps atteint à peine 15 litres par jour et par personne, bien en dessous des normes internationales. Le manque d’eau potable entraîne aussi des problèmes sanitaires majeurs. La recrudescence des maladies hydriques, comme le choléra, est un signal d’alarme. Roberta Rodriquez souligne que cette crise sanitaire est intimement liée à la détérioration des infrastructures hydrauliques, souvent ciblées par les frappes aériennes.
Sur le plan économique, l’impact est tout aussi lourd. L’agriculture, secteur clé de l’économie syrienne, est mise à mal par la raréfaction des ressources en eau. Les terres fertiles qui bordent l’Euphrate ne peuvent plus être irriguées correctement, menaçant la sécurité alimentaire du pays.
Entre initiatives locales et défis globaux
De part et d’autre, des initiatives émergent pour tenter de répondre à un problème à la fois environnemental, politique et humanitaire. L’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES) cherche à instaurer une gestion équitable de l’eau, en promouvant l’idée qu’elle constitue un bien commun, essentiel à la survie de tous. Cette vision s’inscrit dans un contexte marqué par des tensions géopolitiques autour de la question de l’accès à l’eau, une ressource qui se fait de plus en plus rare.
Des organisations internationales, comme Un Ponte Per, jouent un rôle crucial sur le terrain. L’ONG organise des campagnes de levée de fonds et mène des actions de plaidoyer auprès d’acteurs internationaux comme les Nations Unies. Elle cherche également à sensibiliser les populations à l’importance d’une utilisation rationnelle de l’eau par l’intermédiaire de collectivités locales. « Nous devons encourager des pratiques durables et renforcer les liens avec les acteurs locaux », explique Roberta Rodriquez.
Cependant, ces efforts restent insuffisants face à l’ampleur des défis. Le contrôle des bassins versants de l’Euphrate et du Tigre, principalement détenu par la Turquie, accentue les déséquilibres régionaux. Comme le souligne Tony Rublon, : « contrôler l’eau, c’est contrôler une part du pouvoir dans cette région ». Ce rapport de force, renforcé par des enjeux hydropolitiques, complique la situation des communautés locales, déjà fragilisées par la guerre et les déplacements massifs de populations. « Sans coordination internationale, les initiatives locales ne suffiront pas à inverser la tendance » conclut le géographe.
Céline ABI AAD
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