Larissa Kovalevska a dû fuir son pays à cause de la guerre. En France, elle reconstruit sa vie tout en partageant la culture ukrainienne à travers ses chansons. Dans cet entretien, elle revient sur son parcours, l’impact de l’exil sur sa créativité et son combat artistique pour l’Ukraine.
Quand avez vous compris que la scène était votre vocation?
Ma carrière musicale a commencé dès mon enfance, dans une grande famille de musiciens. J’ai ressenti pour la première fois que la scène était faite pour moi à l’école, lorsque je chantais lors de concerts. Mes professeurs reconnaissaient mon talent et disaient souvent que je chantais avec mon âme. J’ai compris avec le temps que la musique n’était pas seulement un passe-temps, mais un moyen d’exprimer mes émotions et de les partager avec les autres.
Comment la guerre et votre départ forcé en France ont-ils influencé votre création?
La guerre a tout changé. J’ai commencé à écrire des chansons imprégnées de douleur, de tristesse et d’espoir. Les thématiques ont évolué : il ne s’agit plus seulement d’histoires personnelles, mais aussi de chansons sur la perte, la lutte et la résilience de notre peuple. Ma musique a acquis une nouvelle énergie, devenant pour moi une forme de thérapie pour surmonter ce que j’ai vécu.
Comment votre arrivée en France a-t-elle marqué le début de votre carrière musicale et votre adaptation à l’industrie musicale française ?
Je suis arrivée en France en avril 2022 et ai rapidement commencé à chanter lors d’événements organisés par l’association « Vesna 64 ». Ces performances m’ont permis de rencontrer des professionnels de la musique . J’ai d’abord créé un collectif de chant, «Volya», mais j’ai vite compris que je préférais travailler en tant qu’artiste solo. En parallèle, j’ai activement recherché des studios d’enregistrement dans ma ville, ce qui m’a donné accès à des outils professionnels pour produire mes propres chansons. J’apprends à travailler avec un nouveau public, à établir des connexions et à adapter ma créativité aux nouvelles conditions. Chaque nouvelle chanson ici est perçue comme un message de l’Ukraine.
Votre pensée créative a-t-elle été influencée par la culture française ?
Sans aucun doute, la culture française m’a beaucoup influencée. Ici, j’ai compris combien il est important que la musique raconte une histoire. J’ai commencé à apprécier davantage la simplicité et la sincérité émotionnelle. Ma musique s’est enrichie grâce à la combinaison des deux cultures. J’étudie également des chansons françaises pour mieux comprendre leur style, mais pour l’instant, je continue d’écrire en ukrainien.
Comment le public français réagit-il à vos chansons en ukrainien ?
Les réactions ont toujours été très chaleureuses. Même si les gens ne comprennent pas les paroles, ils ressentent l’âme de ma musique. On m’a souvent dit que mes chansons ont une énergie particulière qui touche profondément.
Qu’est-ce qui vous inspire à écrire de nouvelles chansons dans un pays étranger ?
Je trouve de l’inspiration dans tout ce qui m’entoure : la nature, les gens, mes enfants. Ce qui m’inspire particulièrement, ce sont les moments où je vois comment les Ukrainiens en France ne baissent pas les bras, mais continuent à lutter pour notre culture et notre identité.
Prévoyez-vous de collaborer avec des musiciens français ?
Oui, j’ai déjà travaillé avec un arrangeur français sur une chanson intitulée «Slava l’Ukraine» . J’ai le rêve d’enregistrer un album en collaboration avec des artistes français. Cela aiderait à mieux faire connaître la musique ukrainienne au public européen. J’ai déjà commencé à travailler sur des chansons en français. J’aime expérimenter, mais je veux toujours garder l’âme ukrainienne dans chaque composition.
Comment gérez-vous la charge émotionnelle liée à la guerre et au déménagement?
La musique est ma thérapie. Elle m’aide à transformer ma douleur en force et à retrouver un équilibre intérieur. En chantant, j’exprime ce qui est difficile à dire avec des mots et je partage mes émotions avec les autres.
Commencer une nouvelle vie ici a été un défi immense, surtout en étant seule avec mes enfants. Je fais tout pour qu’ils soient en sécurité, même si cela demande une force constante, aussi bien physique qu’émotionnelle. Malgré les avis divergents sur mon départ, je reste concentrée sur ce qui est essentiel : avancer et protéger ma famille.
Ici, je suis seule et responsable de mes enfants, ce qui ne me laisse pas le droit d’être faible, même une seule minute.
Quelles émotions ressentez-vous lorsque vous vous produisez devant un public français ?
C’est un mélange de sentiments : de la fierté de pouvoir représenter ma culture et de la tristesse de voir ma patrie souffrir. Mais surtout, c’est de la gratitude envers les Français qui accueillent et soutiennent ma musique ainsi que celle de tous les artistes ukrainiens qui montrent leurs talents ici.
Qu’est-ce que ça signifie pour vous d’écrire de la musique en ukrainien en France ?
C’est mon lien avec ma patrie. Chaque chanson est comme une voix de l’Ukraine que je transmets au monde. Je ressens qu’à travers cela, j’aide mon pays à se battre. Il y a la guerre sur le front, la guerre de l’information, et cette guerre culturelle que nous menons. De cette manière, nous diffusons la culture ukrainienne non seulement à l’intérieur de notre pays, mais aussi au-delà de ses frontières, ce qui contribue à faire entendre l’Ukraine, notamment grâce à la musique.
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