Le 30 octobre 2024, le service de médecine interne de l’hôpital de la Croix-Rousse à Lyon sont entrés en grève. Delphine, Romane et Léonie, trois infirmières grévistes, reviennent sur ce choix cornélien pour le personnel hospitalier.
Les cafés étaient attendus par la table douze du Momento Coffee. Delphine et Léonie les récupèrent pendant que Romane termine sa cigarette. Ces jeunes femmes sont infirmières dans le service de médecine interne à l’hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon, et participent à une grève reconductible. Le 21 octobre 2024, les soignants du service de réanimation médicale et de soins continus de la Croix-Rousse se sont mis en grève après le départ d’une infirmière et la suppression d‘un autre poste. Le 30 octobre, les services de médecine post-urgence et de médecine interne les ont rejoints. Un choix pas si évident dont elles discutent ce mardi 26 novembre, après leur journée de travail.
Des réticences malgré les revendications
Ces derniers se mobilisent pour une augmentation du personnel et pour une prise en compte des dépassements horaires. Les paramédicaux (aides-soignants et infirmiers) badgent à leur arrivée et sortie du service. Si tout retard leur est automatiquement déduit, Romane s’offusque que ce ne soit pas le cas des heures supplémentaires : « après ces longues journées, c’est à nous de les rentrer manuellement. » Toutes les trois admettent avoir oublié de renseigner leurs heures supplémentaires plus d’une fois, ce qui serait, selon Delphine, du « travail gratuit ».
Malgré ces revendications, certains soignants n’ont pas rejoint le mouvement. Une décision comprise par les trois collègues. « Certains sont en CDD, et d’autres ne sont juste pas prêts à s’opposer à la direction », confie Léonie. Elles-mêmes ont hésité à faire grève.
« Ce n’est pas toujours à nous de réparer les pots cassés »
« J’adore mettre les mains dans le cambouis », explique Delphine, un sourire en coin. Elle qui a connu les cuisines et l’équipe ménagère de la Croix-Rousse avant de devenir infirmière s’est battue pour arriver où elle est. Aujourd’hui, elle se bat pour ses conditions de travail. Romane, en poste depuis 2022, est la plus jeune recrue du trio. Bien qu’elle ait commencé sa formation « presque par hasard », elle ne doute absolument pas de sa place à l’hôpital. « J’adore ce que je fais, et j’adore l’ambiance entre les corps de métiers », énumère-t-elle.
Léonie exerce, quant à elle, depuis quatre ans. Elle qui hésitait entre devenir infirmière ou éducatrice spécialisée s’est laissé tenter par la santé. « Mais depuis, c’est la désillusion », tranche-t-elle. Ce désenchantement est un fil conducteur qui, malgré les doutes, les a poussés à faire grève. « La sécurité des patients est notre priorité », clarifie Delphine, « mais en même temps, ce n’est pas toujours à nous de réparer les pots cassés. »
Les défis des assignations
En plus de ce conflit d’ordre moral s’ajoutent les obstacles administratifs. Les trois infirmières rappellent que pour exercer le droit de grève hospitalier, il faut être gréviste sur un jour de travail, et se déclarer comme tel 48h avant. Sans oublier l’arrêt « Dehaene » qui opère une conciliation entre le principe du droit de grève et celui de la continuité des soins et de la sécurité avec l’assignation : un acte administratif qui permet à un chef de service de faire directement obstacle à l’exercice du droit de grève pour garantir un service. Pour que l’assignation soit valide, elle doit être matérialisée par lettre recommandée avec accusé de réception, ou en main propre en échange d’une signature. « En temps normal, même si tout n’est pas parfait, nous venons quand même, confesse Romane. Mais cette fois, si l’assignation n’est pas règlementaire, nous ne viendrons pas. »
Un principe que Delphine a appliqué le 30 octobre dernier. Après s’être déclarée gréviste, elle n’a pas reçu d’assignation. Sa collègue, seule pour gérer tout le service, a demandé une fermeture de lits, ce qu’a refusé la direction. « Ils pensaient que j’allais céder et venir travailler », regrette Delphine. En réponse, la gréviste a été accusée d’abandon de poste. « Tous les soignants du service se sont offusqués d’une seule voix, se remémore Léonie. La direction a été obligée de s’excuser. » Un épisode qui a convaincu quelques soignants supplémentaires de rejoindre le mouvement. À l’heure actuelle, sur la trentaine de paramédicaux en médecine interne, plus de la moitié est active dans la grève.
Des négociations manquées
Contactés au sujet du mouvement social, les hospices civils de Lyon ont rappelé que « l’accueil des patients et la continuité des soins » restaient assurés. Ils ont également évoqué « plusieurs réunions déjà déroulées » et que de « nouveaux échanges » se poursuivaient. Le service de médecine interne a bien participé à une réunion de négociation le 21 novembre où il a vu sa demande de recrutement refusée. L’hôpital a proposé un changement des périodes de travail en douze heures. Une décision qui ne convient pas aux grévistes. Le bras de fer entre les deux partis semble donc loin d’être fini.
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