Vinz reproduisant la scène "C'est à moi que tu parles ?" face à un iPhone

La Haine : réveiller les cicatrices sociales sur scène

29 ans après la sortie du film « La Haine : jusqu’ici tout va bien », son adaptation théâtrale « La Haine : jusqu’ici rien n’a changé » s’ouvre le 10 octobre 2024 à la Seine Musicale à Paris (Île-de-France). À travers la trame narrative d’origine et une technologie immersive, le réalisateur Mathieu Kassovitz cherche à éveiller la nouvelle génération sur des maux sociaux : les violences policières, la fracture sociale, la marginalisation des jeunes. Comme en 1995.

En trois décennies, La Haine ne prend pas une ride. En tournée dans toute la France depuis La Seine Musicale à Paris (Île-de-France), l’œuvre renaît en octobre 2024. Si jusqu’ici tout allait bien, Mathieu Kassovitz affirme qu’en termes politico-social en France, rien n’a changé. Le réalisateur du film en noir et blanc fait renaître les personnages de Vinz, Said et Hubert sur les planches où se répètent la nuit d’émeutes et la promenade des héros. Le metteur en scène repense son projet à travers une adaptation musicale en s’autorisant des libertés cinématographiques permises par les innovations techniques. Un coup de maître salué par Léa, cinéphile peu habituée à fréquenter les théâtres, pendant l’entracte : « Kassovitz a réussi à transposer la pièce à notre époque sans trahir le film ».

La violence urbaine sur fond de variété française et de rap moderne

La révolte s’invite sur scène et exploite les techniques numériques afin de dépasser le théâtre traditionnel : jeux de lumières, chorégraphies et tableaux inspirés du film se jouent devant les différentes générations. La bande-son, imaginée en cohérence avec les thématiques de l’intrigue, résonne en fond. « On se sent inclus, c’est complètement immersif. J’ai dit à mon fils qu’on a l’impression d’être dedans. C’est différent de la télé, car il n’y a pas la distance de l’écran » partage Michael, 50 ans sans parvenir à détourner ses yeux émerveillés de la scène. 

Remettre cette œuvre au goût du jour sans rompre avec le squelette originel représente un défi de taille pour La Haine Productions. Le spectacle multiplie les références à l’actualité, et plus particulièrement celles qui intéressent la nouvelle génération. « Au début de la pièce, ils montrent des images d’émeutes en banlieue pour Nahel, pour Black Lives Matter, pour les Traoré », énumère avec ferveur Line, 22 ans tandis que son amie acquiesce de la tête. Entremêler différentes générations d’artistes, telle est la stratégie de Mathieu Kassovitz afin de rapprocher les époques : d’Édith Piaf à Youssoupha, la bande originale plaît tant aux quinquagénaires qu’aux adolescents. « Les musiques sont folles, mélanger ”Non, rien de rien… ” avec de l’actuel comme ”Fuck le 17”, ça tue », commente Alex, 28 ans, venu assister à la représentation par nostalgie du long-métrage.

« On n’a pas résolu les problèmes de marginalisation des cités »

Le film de 1995 s’est distingué dans le septième art par sa représentation de la précarité en banlieue et du rapport conflictuel aux forces de l’ordre. Kassovitz favorise une adaptation théâtrale à une suite afin d’illustrer une histoire qui se répète dans le temps. « On n’a pas résolu les problèmes de marginalisation des cités et d’exclusion des personnes qui en sont issues. On le voit lorsqu’elles se déplacent dans Paris intra-muros, c’est de là que vient la violence » observe Agathe, 31 ans, accompagnée de son fiancé qui l’initie au film deux jours plus tôt. 

Dans la même veine, la comédie musicale raconte l’agression physique d’un garçon par un policier, ce qui déclenche une nuit d’émeutes. Une nouvelle fois, Vinz se pose la question d’assassiner ou non le fonctionnaire en représailles. Ce schéma quasi-identique, parsemé de touches d’actualité, traduit un mimétisme du contexte politico-social français. Frank, 44 ans, trouve l’intitulé « Rien n’a changé » approprié : « À l’époque, Mathieu a fait ce film parce qu’il y a un jeune qui s’est fait tuer par la police. Il y a quelque temps, un autre jeune s’est fait tuer. La haine a pas vraiment diminué entre-temps, je pense que c’est pour ça que l’œuvre marque les générations. ». Et pour cause, le personnage de Vinz s’exclame même « Je serai pas le prochain Nahel, moi ! » en milieu de pièce, rappelant la mort du jeune Nahel Merzouk à Nanterre (Hauts-de-Seine) en juin 2023.

Un chef d’œuvre de 1995 en phase avec le présent

Véritable classique du cinéma français, les codes narratifs et esthétiques phares du film sont conservés dans l’adaptation, ce qui ne manque pas d’attirer les plus réticents parmi les fans du long-métrage : « Ce qui est cool, c’est qu’on est resté fidèle au film. Moi, je l’ai vu trente ou quarante fois donc je connais par cœur toutes les répliques et je trouve qu’on apporte ici une touche de nouveauté » analyse Johan, 38 ans, portant avec fierté un tee-shirt Jusqu’ici tout va bien. À l’inverse de l’histoire de 1995, la pièce se veut porteuse d’espoir et s’adresse à un public désormais connecté et informé. En bref, elle illustre des problèmes sociaux qui perdurent dans le temps, mais aussi un Vinz hurlant « C’est à moi que tu parles ? » face à un iPhone. On peut en déduire que presque rien n’a changé.

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.