La charte déontologique des journalistes ou l’inconfort de la liberté

Aux assises du journalisme de Tours, garantir le respect de la charte déontologique en l’absence de sanctions fait débat. Philippe Boissonnat, rédacteur en chef de Ouest France et Pierre Ganz, secrétaire général du Conseil de la Déontologie Journalistique et de Médiation, discutent autour de ces principes éthiques. Une liberté d’expression qui s’impose.

Le manquement aux règles éthiques journalistiques n’entraîne pas de sanctions formelles et immédiates. C’est le constat de Pierre Ganz, secrétaire général du Conseil de la Déontologie Journalistique et de Médiation (CDJM) : “Prononcer des sanctions aux journalistes qui ne respectent pas la charte serait dangereux dans une démocratie.” Dans ce sens, défendre le respect de la charte déontologique dans un secteur où l’autorégulation semble être la principale garantie de l’intégrité questionne. “Ce qui est un déni du droit commun, le vol de document par exemple, peut tomber sur le coup de sanctions. Ce n’est pas le cas pour le non-respect des règles déontologiques, et c’est tant mieux”, se rassure-t-il. Assurément, un conseil de déontologie journalistique ne prononce pas de sanctions. Il publie des avis sur son site et invite le média concerné à le publier, et ce afin d’éviter de rentrer dans un processus de pression sur les journalistes. “Le conseil dénonce le fait que la déontologie n’a pas été respectée, ça s’arrête là”, revendique le secrétaire général de la CDJM.

“Ce n’est pas parce que il y a un code de la route qu’il n’y a plus d’accidents”

Adopter une charte de déontologie en journalisme peut être rassurant. Elle permet d’établir un cadre clair des principes éthiques et des bonnes pratiques, garantissant ainsi l’indépendance et la crédibilité de l’information. “La charte s’applique à tous et n’interdit jamais au débat, c’est même l’inverse. Les chartes vont au-delà des règles de base, que la loi française nous impose”, insiste le rédacteur en chef d’Ouest France, Philippe Boissonnat. “La loi n’impose pas de diffuser un certain nombre d’informations et c’est une décision qui justifie justement l’existence d’un Conseil de presse. Le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte ou exprimer une opinion contraire à sa conviction ou sa conscience professionnelle”, poursuit-il.

La charte de déontologie du journalisme “n’est pas le code pénal”, définit Boissonnat. “A titre de comparaison, ce n’est pas parce que il y a un code de la route qu’il n’y a plus d’accidents”, s’amuse-t-il. La CDJM a pour fonction de protéger le débat et de le rendre accessible à toute expression qui respecte les principes généraux de la démocratie. Un rappel déontologique sous forme de débat s’impose automatiquement. “On n’a pas le droit de mettre son mouchoir sur ce temps d’échange, donc à la fin du débat s’ il y a un arbitrage à prendre, c’est à l’encadrement de le donner et aux équipes de le respecter”, conclut le journaliste. 

Une règle qui n’est pas appliquée partout. Dans certains pays, les journalistes peuvent être sanctionnés, notamment par le retrait de leur carte de presse, lorsqu’ils ne respectent pas les normes déontologiques. C’est le cas en Somalie, au Kenya ou encore au Cameroun. En Italie, la charte de Trévise établit des principes déontologiques pour la protection des mineurs dans le journalisme. Enfreinte constamment, les sanctions peuvent partir d’un simple avertissement à la radiation immédiate.

Le podium des chartes ou un code de conduite à différentes échelles  

Pierre Ganz estime qu’il n’existe pas de différence fondamentale entre les chartes éthiques nationales et celles propres à chaque média. “C’est une question de respect, d’exactitude et d’indépendance” insiste-t-il. Toutefois, une distinction subsiste en fonction des échelles. La charte de la CDJM, celle de la déclaration des droits et devoirs de Munich, ainsi que celle française de la SNJ, posent des principes éthiques généraux. Une hiérarchie existe au sein même de la charte en cas de recours : les principes éthiques précèdent des règles plus concrètes adaptées à des situations spécifiques. Ce classement a été testé lors du traitement des faits divers. Pour les responsables du CDJM, aucune différence de fond n’existe entre les approches éthiques des faits divers et celles des sciences, si ce n’est les contraintes pratiques quotidiennes des journalistes : “Les faits divers ne connaissent pas de source absolue, le policier lui-même pouvant parfois être en faute dans ses déclarations. C’est la même logique mais sauf que c’est décliné différemment avec des consignes un peu différentes.”

Les principes éthiques et déontologiques ont souvent été mis à l’épreuve lors d’affaires sensibles. L’affaire Grégory Villemin en est un exemple marquant. À l’époque, Jean Ker, journaliste à Paris Match, a enfreint plusieurs devoirs déontologiques sans subir de sanctions. Pour Philippe Boissonnat, si de tels faits s’étaient produits aujourd’hui, le journaliste aurait été poursuivi et l’affaire aurait été jugée au tribunal pénal. Cette évolution montre que les principes déontologiques sont en constante révision pour s’adapter aux défis contemporains du journalisme.

Aurore Boscher, Olivia Dumonceau et Xanvier Sawadogo


Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.