Héléna Berkaoui, rédactrice en chef du Bondy Blog, était présente aux Assises du Journalisme de Tours du 11 mars 2025. À cette occasion, elle nous a accordé un entretien relatif aux enjeux et objectifs du Bondy Blog qui, depuis près de vingt ans, s’efforce de raconter les quartiers populaires autrement.
Le Bondy Blog a été créé pour donner la parole aux habitant.es des quartiers populaires. Fondé pendant les révoltes urbaines de 2005, il émerge suite à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré suite à un contrôle de police à Clichy-sous-Bois (93). Le Bondy Blog fête bientôt ses 20 ans mais, entre le traitement médiatique des récentes émeutes urbaines et la montée de l’extrême droite, son objectif reste le même.
Quelle est la genèse du Bondy Blog et en quoi se distingue-t-il des médias traditionnels ?
« La naissance de ce média est née d’un besoin de créer une forme de contre-narratif des révoltes urbaines de 2005, et plus globalement de la représentation des quartiers populaires. Cette année-là, la France a connu trois semaines de révoltes urbaines assez violentes ainsi qu’une couverture médiatique qui a été vivement critiquée. Le reproche qui revenait souvent était que les gens ne viennent que ‘’quand ça pète’’. Le Bondy Blog est issu de ce contexte-là. Pour la petite histoire, tout commence lorsque des journalistes suisses se sont installés à Bondy avant de former une sorte de ‘’journalisme de résidence’’. De fil en aiguille, ce média a évolué au point d’être revendiqué par des personnes originaires de Bondy et devenir ce qu’il est à ce jour. Il fait actuellement de l’information relative aux quartiers populaires avec une volonté de se saisir du narratif médiatique traditionnel afin de raconter les quartiers à travers notre vision. Une vision de l’interne, telle que vécue. »
Au regard des événements de Clichy-sous-bois, quelles observations peut-on faire vingt ans plus tard lors des émeutes relatives à l’affaire de Nahel Merzouk, en termes de traitement médiatique des révoltes urbaines ?
« Nous restons très critiques, spécialement à l’égard des médias ‘’de l’entre-deux’’, non sensibilisés à ces questions fondamentales. On désapprouve leur posture : une remise en question de la parole des jeunes, une forme de préjugé sur la colère qu’ils expriment. C’est comme si les questions soulevées par ce drame étaient totalement invalidées. Tout est encore très complexe : interroger la relation entre la police et la population, les homicides fréquents par les policiers, le racisme évident de leur part. On peut condamner l’expression de cette colère mais cette colère vient toujours dire quelque chose : il n’y a pas de fumée sans feu.»
La montée de l’extrême droite et de son pouvoir sur le monde médiatique a-t-elle des conséquences sur la perception de l’opinion vis-à-vis des représentations des révoltes populaires ?
« On vit dans une société où l’extrême droite prend de la puissance avec le temps par la possession de ses propres médias et de son réseau étendu. En 2005, il n’y avait pas autant de voix explicitement racistes avec des cibles aussi déterminées. On n’encourageait pas autant le racisme systémique qui existe dans la police à ce jour. On constate également une montée des médias avec un agenda politique militant d’extrême droite. Ces derniers ont aussi un impact car ils mettent de l’huile sur le feu. »
En quoi le Bondy Blog a-t-il eu des répercussions sur les autres acteurs médiatiques ?
« Plusieurs journalistes de Mediapart ont été formées au Bondy Blog. En termes de diversité, ils nous doivent beaucoup. Si l’on pense à une récente interpellation à Corbeil-Essonne (Essonne), l’information a été massivement reprise et n’aurait pas été relayée sans notre traitement journalistique. Parfois, ce sont simplement des sujets qui fonctionnent. D’autres fois, on attire l’attention sur leur légitimité. Ils concernent de nombreuses communautés mais ne sont pas pour autant considérés dans certaines rédactions. On s’en saisit car il s’agit de sujets de notre quotidien. On met en lumière des sujets qui, ailleurs, ont tendance à passer sous les radars. »
Quels sont les futurs projets du Bondy Blog afin de poursuivre sa mobilisation contre les idées de l’extrême droite et contrebalancer leur vision des quartiers populaires ?
« On a beaucoup d’envies, beaucoup d’idées mais moins de moyens. La moitié de nos subventions nous a été retirée suite aux révoltes urbaines de 2023 (affaire de Nahel). On souhaite travailler avec des partenaires que l’on voit émerger sur les réseaux sociaux, comme par exemple Histoires crépues dont on a soutenu la levée de fonds ou encore BooskaP dont le rédacteur en chef provient du Bondy Blog. La présence de l’extrême droite sur les réseaux sociaux est plus forte que le camp progressiste en France, ce qui nous encourage à faire bloc à l’aide d’autres médias qui défendent nos idées. L’Histoire du Bondy Blog est collective, on a tenu pendant vingt ans de cette manière. »
Huguenot Camille
Benamar Ahlem
Sama Hugues Richard
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